Un coup de canon au milieu des Indiens

The Battle of Rogue River ne vaut pas grand-chose en tant que western : les situations convenues, desservies par un scénario schématique, ne bénéficient même pas d’une direction d’acteurs suffisante ; il suffit de voir les relations hiérarchiques s’incarner à l’écran, récitation de rôles qui manque cruellement de spontanéité. L’artificialité règne en maître, rejoue un manichéisme stérile entre des Indiens tous gentils et unis – jamais nous ne voyons vivre un peuple, jamais nous ne croyons à ce peuple – et des soldats tiraillés entre l’autoritarisme et la recherche des plaisirs.

Pourtant, au sein de cet univers factice voit le jour une séquence réussie et originale en ce qu’elle démantèle la fabrique (grossière) de l’illusion : arrivés en urgence dans le tipi du chef, deux guerriers se font sermonner parce qu’ils ont exagéré la réalité du spectacle terrifiant auquel ils ont assisté. Le chef les invite à réviser leurs formules et à dédramatiser un récit qui, sinon, paraît apocalyptique et sans issu. Tout se passe comme si Castle conviait ses personnages, et ses spectateurs par la même occasion, à se méfier de leurs impressions, à percevoir ces dernières comme des représentations mentales, à interroger les images qu’ils perçoivent. En cela, cette séquence de début de film articule deux notions philosophique et rhétorique : la thèse schopenhauerienne du monde comme représentation et la recherche oratoire du movere pour agir sur l’esprit de l’auditeur. La critique de l’hyperbole dans le récit semble d’ailleurs le fil conducteur du petit cinéma de William Castle, qui ne brille ici ni par sa mise en scène ni par son schéma actanciel alors que sa thématique centrale, entendons l’arrivée de la modernité technique avec le canon dans un espace marqué par les traditions et un art de la guerre ancestral, avait de quoi passionner.