La Belle au bois dormant
6.5
La Belle au bois dormant

Long-métrage d'animation de Clyde Geronimi (1959)

Que ça plait.

Que ça ne plait pas.

Pourquoi.

Les arguments sont valables, souvent.

...pourquoi faire une énième critique ?


A cause de l'histoire, et de ses mutations, et de ce que ça cache.

C'est un aspect important de la Belle au bois dormant : Disney et le mythe.


L'histoire d"origine" change, selon qu'on suive Perrault, premier à la mettre par écrit, ou les frères Grimm, seconds.

Chez Perrault ( 1697, France, règne de Louis XIV ) c'est simple et un peu superficiel, dit avec "esprit" :


Un roi et une reine ont du mal à avoir des enfants, puis enfin la reine est enceinte ( sans qu'il dise pourquoi cette fois ça marche ), une fille nait.

Trop contents, ils invitent tout le monde à la fête du baptême, et surtout toutes les fées qu'on trouve ( sept ) pour qu'elles fassent des dons à l'enfant, coutume locale.

Mais une vieille fée ( oubliée dans une tour au fond du pays ) se pointe et va se venger en offrant un don néfaste : la princesse se piquera à un fuseau ( accessoire courant pour filer ) et en mourra. Ambiance.

Dès qu'elle s'en va, une fée plus maline qui n'avait pas encore formulé son don explique qu'elle est trop jeunette pour effacer le sort de l'ainée, mais peut l'atténuer : la princesse ne mourra pas mais s'endormira pour 100 ans, au bout de quoi un prince la réveillera.

( notez bien les 100 ans, on va en reparler )


jusqu'ici vous êtes en terrain connu. Vous notez qu'il n'y a pas de sorcière, juste des fées + ou - bienveillantes et + ou - puissantes. Et qu'elles sont 8.

...après ( toujours chez Perrault ) :


Le roi ordonne de brûler tous les fuseaux du pays ( j'imagine qu'ils vont importer du fil puisqu'ils ne peuvent plus filer ) mais, vers 15 ans la princesse déniche une vieille fileuse oubliée dans une tour du château, demande ce qu'elle fait, essaie, et se pique avec le fuseau et tombe endormie comme prévu.

Voilà ça, c'est fait.

( notez que le seul rapport entre la fée méchante et la fileuse, c'est qu'elles sont vieilles et oubliées dans une tour )


...après, sans surprise :

La fée maline ( prévenue par un nain chaussé de bottes de sept lieues, Perrault fait du crossover ) arrive dans un traineau tiré par des dragons, endort magiquement tout le monde ( sauf le roi et la reine, qui seront donc morts au réveil de la belle ), pour qu'elle ait du monde pour la servir à son réveil ! ( souvenir d'une époque où on sacrifiait tous les domestiques d'un noble à sa mort pour les enterrer avec lui ? c'est moi qui suggère )

Elle fait pousser à l'accéléré des ronces autour du château pour en interdire l'accès.

100 ans plus tard un prince passe par là, les épines s'écartent, et ( sans aucun combat ni mérite ) il trouve la princesse dans sa chambre, et NON ! IL NE L'EMBRASSE PAS ! il s'agenouille juste près d'elle, elle se réveille parce que les 100 ans sont passés, ils tombent amoureux at first sight, ils discutent pendant que tous les domestiques s'éveillent, mariage le jour même, et hop nuit de noce !

Bon, on note qu'il y a zéro suspens, sauf au tout début - on a eu du suspens jusqu'à ce que la gentille fée formule son don atténuateur, et ensuite tout se déroule.


Perrault rend le récit agréable autrement :

il tourne de jolies phrases légères et enjouées, il raconte comment le prince voit tous les domestiques endormis, et même les flammes de la cheminée des cuisines qui sont figées - belle idée - il a de petites moqueries en passant pour les gardes au nez rouge, les vêtements démodés de la princesse, et se permet quelques sous-entendus égrillards qui sont constants chez lui, et destinés aux adultes :

Alors que le prince est plus ému et maladroit qu'éloquent et habile, la princesse est "beaucoup moins embarrassée" que lui, et il ne faut pas s'en étonner car "la bonne fée, pendant un si long sommeil, lui avait procuré le plaisir des songes agréables".


( les adultes de l'époque saisissaient immédiatement le sous-entendu libertin dans ce plaisir des songes agréables qui permettent à une jeune ingénue d'être d'emblée plus habile que le prince, et Perrault le surligne en disant que c'est lui qui le suppose, parce que "l'Histoire qu'il a entendue n'en disait rien" )


Il insiste aussi sur le fait que le prince et la princesse ont peu dormi pendant la nuit de noce - la princesse n'en avait guère besoin ( elle vient de pioncer 100 ans ! ) et le prince s'en va dès l'aube pour rentrer chez lui ( mais chaque adulte sait ce que signifie ce "peu dormi" pendant une nuit de noces ).


Indépendamment des petites gracieusetés ( parfois agaçantes ) dont il saupoudre son conte, reste que c'est un très mauvais scénario, où l'antagoniste ( la vieille fée ) agit pour des raisons futiles, où tout est prévu et annoncé et se déroule tel quel, sans que quiconque ait à fournir le moindre effort, à vaincre le moindre obstacle.

Mais le conte de Perrault n'est pas du tout fini !


Quoi ? on a pourtant eu le happy end !


Ben non, on n'est qu'à la moitié, et là ça dérape grave :

Pendant 2 ans, le prince cache à ses royaux parents qu'il est marié ( Pourquoi ? Parce qu'il l'a fait sans leur avis ? Perrault ne le dit pas ) il leur ment carrément, inventant des trucs bidons, et donc ne rejoint la belle que quelques nuits clandestines par-ci par-là, ce qui ne les empêche pas d'avoir 2 enfants, un par an ( manifestement pas autant de mal à concevoir que le roi et la reine du début ), et quand au bout de 2 ans son père le roi meurt, le prince rend public son mariage et installe la princesse chez lui.

Ils sont donc devenus Roi et Reine, si vous suivez.


On en déduit forcément que le problème, c'était son père, puisqu'il a attendu sa mort pour annoncer son mariage. Mais sa mère aussi est un souci :

Perrault nous apprend soudain que c'est officiellement une ogresse, épousée par le père du prince pour sa richesse ! ( Là, on aimerait connaître la backstory des parents du prince, et avoir une petite idée de comment s'est passée sa jeunesse, mais Perrault nous en frustre ).

Vous sentez comme l'histoire est en train de déraper ?


Parce que, quand même, il installe sa femme adorée et leurs deux enfants chéris chez une ogresse notoire...au lieu de les laisser continuer à vivre tranquilles dans leur château..

Comment ça continue, à votre avis ?

Gagné : à la première absence de son fils ( parti guerroyer, le train-train des rois ), l'ogresse ordonne à un pauvre serviteur de cuire un des enfants ( donc, son petit-fils, si vous suivez ) et de le lui servir à manger.

A deux reprises ( une pour chaque enfant ), il se laisse attendrir par sa gentillesse et sacrifie à leur place un agneau puis un chevreau, les cuisine et les sert à l'ogresse, qui s'en régale.

A chaque fois, il fait vivre l'enfant chez lui, caché.

Puis l'ogresse veut manger la belle.

Problème pour le serviteur, il n'a aucun animal assez coriace pour passer pour la chair de la belle ! Perrault nous explique qu'elle a la peau dure, vu qu'elle a 20 ans passés ( visiblement c'est très vieux ) et dormi 100 ans !

Ce n'est pas pour rien qu'on appelait les jeunes filles des "tendrons": passé l'adolescence, on les considérait visiblement comme des vieilles carnes.

Bref, le pauvre homme désolé s'introduit dans le chambre de la belle pour l'égorger avec un gros couteau ( Perrault aime bien l'égorgement, il l'utilise souvent ), mais il la prévient d'abord respectueusement de ce qu'il va lui faire ( sympa le gars: désolé majesté, va falloir que je vous égorge et vous cuisine en pot-au-feu, nothin'personal ) et, comme on est entre bonnes âmes, elle accepte pour rejoindre ses enfants qu'elle croit morts. Trop ému il la cache aussi chez lui et donne à manger à l'ogresse une biche ( tiens, pourquoi il n'y a pas pensé avant ? ), sans problème.

Un jour l'ogresse entend la belle gronder ses enfants pas sages, elle comprend l'arnaque, fait emplir une grande cuve de serpents, crapauds et couleuvres ( les serpents seuls étant dangereux, j'imagine que les crapauds et couleuvres sont là pour le côté Fort Boyard ) pour y faire jeter la belle, ses enfants, le serviteur et sa femme, et leur bonne pour faire bonne mesure.

Mais le Roi ( ex-prince, vous l'aviez oublié celui-là ? ) revient justement de la guerre pile-poil ( comme Cœur de Lion à la fin de Robin des Bois ) et l'ogresse dépitée se jette elle-même dans la cuve.

Fin.

Qui a dit 'portnawak ?


...et Perrault ajoute juste une petite moralité comme d'hab :


"Attendre quelque temps pour avoir un époux

riche, bien fait, galant et doux,

la chose est assez naturelle,

mais l'attendre cent ans et toujours en dormant,

on ne trouve plus de femelle

qui dormît si tranquillement.

La fable semble encore vouloir nous faire entendre

que souvent de l'hymen les agréables nœuds,(fantasmez pas, nœuds de l'hymen=mariage )

pour être différés n'en sont pas moins heureux,

et qu'on ne perd rien pour attendre;

mais le sexe ( = ça veut juste dire le sexe faible, c.a.d les femmes ) avec tant d'ardeur

aspire à la foi conjugale ( = le mariage ),

que je n'ai pas la force ni le cœur

de lui prêcher cette morale."

( en gros, ça dit juste que les filles de nos jours sont trop pressées de se marier, cherchez pas la morale logique de toute l'histoire là-dedans, Perrault "trousse" ses moralités juste pour faire glousser les dames et sourire en coin les messieurs. Celle du petit chaperon rouge est même pire, vérifiez si vous voulez )


Tiens, vous êtes encore là ?


Désolé pour la longueur, mais comment exposer plus brièvement ce bazar ? Manifestement, Perrault a assemblé des morceaux de contes piochés par-ci par-là ( la mère ogresse, les substitutions humain/animal sacrifié, la cuve de serpents...) pour faire une 2e partie beaucoup moins cohérente que la première mais fourrée de trucs gore pour nous garder éveillés.

Et ça c'était juste Perrault !


Environ 100 ans plus tard arrivent les frères Grimm ( 1812, Allemagne, Bonaparte ).

D'emblée ils coupent toute la 2e partie ( sage décision, non ? ), et retravaillent le début:


Un roi et une reine n'arrivent pas à faire des enfants. Un jour que la reine se baigne, une grenouille lui dit qu'elle aura un enfant l'année suivante.

A la naissance, le couple royal invite les amis la famille et toutes les femmes sages du royaume ! Sauf qu'il y en a juste 13 ( détail misogyne ? pas forcément si femmes sages est un euphémisme pour fée ), et qu'ils n'ont que 12 assiettes d'or, donc une femme sage doit rester chez elle, c'est ballot.

Chaque femme sage offre une qualité à l'enfant ( mais c'est quoi ces femmes sages ? ), l'exclue déboule et annonce qu'à 15 ans la petite se piquera avec un fuseau et mourra, une femme sage qui n'avait pas encore fait son don atténue le sort en disant qu'elle dormira juste 100 ans.

( donc, si vous suivez, jusqu'ici ils ont juste ajouté une grenouille, pour prophétiser, mais la grenouille ne serait-elle pas pour quelque chose dans la fécondation de la reine, baignant nue dans la même eau ? Parce que, contrairement au français qui "genrise" grenouille au féminin, "Frosch" est masculin si je ne m'abuse...on a donc un monsieur grenouille dans le même bain que la reine qui en tombe enceinte aussitôt...hum hum... )

Le roi fait bruler tous les fuseaux du pays, mais à 15 ans l'enfant trouve une vieille fileuse oubliée dans une tour, se pique à son fuseau, s'endort, tous s'endorment même le roi et la reine ( variante par rapport à Perrault, et sans intervention de fée sur un char tiré par des dragons ) dans le château, autour duquel un roncier d'aubépine pousse naturellement peu à peu ( variante par rapport à Perrault chez qui la fée le faisait jaillir d'un coup façon Totoro, là les ronces montrent le passage du temps et l'abandon ), des tas de princes finissent par entendre la légende mais échouent à traverser le roncier et y meurent atrocement ( variante par rapport à Perrault qui faisait juste arriver the right guy at the right time ), et au bout de 100 ans l'un d'eux passe l'obstacle sans mal, entre dans le château ( descriptions des endormis encore plus poussées que chez Perrault, avec les gens figés dans l'action, et même les mouches, visiblement les Grimm ont compris que ce moment est un élément de séduction important du conte ), trouve la belle, l'EMBRASSE endormie ( célèbre variante indélicate par rapport à Perrault, ce qui fonde l'analogie avec un viol ), ce qui l'éveille, et tout le château avec.

Comme les parents de la belle sont encore vivants dans cette version, ils consentent au mariage ( et on ne parle jamais des parents du prince ).

...ni de la nuit de noce.


Les frères Grimm ne truffent pas leur récit de petits sous-entendus coquins, et c'est sans doute par prudence religieuse ( protestante ? je n'ai pas checké leur cv ) qu'ils remplacent les fées par des femmes sages.


Vous êtes toujours là ? Bravo Emile !


Disney :

C'est évidemment surtout cette version que les équipes Disney suivent pour élaborer le scénario de leur film d'animation. La seconde partie de Perrault, avec la grand-mère qui veut manger ses petits enfants, n'était pas envisageable, et certains aspects trop proches de Blanche Neige.

Ils éliminent le début avec la grenouille fécondante, limitent le nombre des fées, et comme l'image des fées était devenue presque exclusivement positive, font de la méchante une sorte de sorcière, qui, visiblement indésirable, a été oubliée exprès - c'est mieux que cette bête histoire d'assiette qui manque.


Puis ils changent un point important du récit :

Pour des raisons morales, un prince au hasard prince ne peut pas "cueillir" la princesse endormie. Ils doivent être amoureux au préalable. Donc s'être rencontrés AVANT l'endormissement.

Casse-tête : comment concilier ça avec un sommeil de 100 ans ?

Deux options :

- soit le prince attend 100 ans aussi ( par exemple enfermé dans la geôle de Maléfique qui l'aurait maintenu jeune pour qu'il souffre un siècle séparé de la belle ? c'est moi qui propose )

- soit le sommeil magique ne dure pas 100 ans ( c'est ce que choisit l'équipe Disney )

Ce double changement lié - la rencontre préalable et la brièveté du sommeil - n'a rien d'anodin, il torpille l'élément clef du célèbre conte : un prince random qui arrive juste au bon moment pour cueillir une belle endormie depuis 100 ans.

= un sacrifice d'écriture fort pour éviter une situation immorale.


L'équipe Disney renforce aussi le personnage de la méchante fée, en faisant d'elle une sorte de démon ( cornu ! ) commandant à des diablotins. Maléfique devient même capable de se changer en un ( très classe ) grand dragon.

Elle élimine le rôle de la vieille fileuse, laissant la belle ( qui a gagné un prénom au passage, Aurore ) trouver le fuseau seule, comme hypnotisée par maléfique, grâce à un passage secret qui explique qu'on n'ait pas brulé ce fuseau-ci.

( comme il n'y a pas de fileuse dans cette version, on peut se demander pourquoi Aurore est fascinée par l'objet, mais une musique surnaturelle nous fait comprendre qu'elle est envoûtée par Maléfique ).

= on obtient un méchant féminin très puissant et très singulier ( en fait son souci c'est d'être secondé par une bande de diablotins crétins et...masculins )


L'équipe Disney renforce aussi les personnages des 3 fées, faisant d'elles des rombières rigolotes, pleines de bonnes intentions mais à l'efficacité irrégulière, pas toujours très sages, qui se disputent comme des frangines.

Ecart important par rapport au conte, elles élèvent secrètement Aurore dans la forêt, pour la soustraire à Maléfique et ses sbires qui la cherchent toujours pour la tuer.

C'est là que le prince rencontre Aurore, dans une scène qui ne pouvait évidemment pas exister dans le conte d'origine..

C'est important : ils ne se découvrent pas dans un château, avec témoins, mais seuls dans la forêt, le "WILD" ( sauf que, dans l'esthétique du film, c'est pas très wild ).

Cette scène, très bien réalisée et animée, très inventive, a des qualités et des défauts moraux :

- on peut regretter que ce soit LUI qui la découvre, et non l'inverse. Il l'épie avec l'air d'avoir trouvé un fruit appétissant à cueillir. C'est gênant, parce qu'elle explique justement en chantant à ses copains animaux (comme vous tous les jours dans la forêt) - qu'elle a rêvé d'un homme et qu'elle sait que c'est son amoureux. Donc il surprend ses confidences intimes, et au lieu de toussoter "pardon je suis là, je faisais juste pipi dans un buisson", il se faufile près d'elle et se substitue aux vêtements que les animaux "animaient" pour mimer l'homme de ses rêves.

- il est pressant. Il s'invite dans sa chanson à elle, il la drague. Quand elle s'en va il insiste et exige un RDV.


les bons points :

Ben, déjà, qu'ils se rencontrent avant le baiser endormi : moralement, c'est un peu mieux.

- qu'elle semble le reconnaître comme celui dont elle a rêvé.

- qu'elle semble l'apprécier, passé la surprise et malgré la défense que les fées lui ont faite de parler à quiconque. ...au point qu'elle lui répond "demain" pour le RDV, alors que rien ne l'y obligeait.

- qu'on nous montre clairement qu'ils sont amoureux tous les deux, que c'est une rencontre et non une prédation. On la voit essayer de le dire aux fées, il est très clair qu'elle est décidée à l'aimer, et pas passive.

- que toute la chanson "once upon a dream" insiste, sans mièvrerie, sur le fait qu'elle le connaît d'avance, qu'elle l'a vu en rêve, qu'il lui est familier, et qu'elle gère.

...on voit que c'est le point capital pour l'équipe : le prince qui la réveillera ne doit en aucun cas être un inconnu de passage, ils sont déjà amoureux, ils se sont même rencontrés en rêve avant le flirt réel.


...ensuite, des péripéties plutôt bien rythmées montrent les fées annonçant sa réelle identité à Aurore, l'amenant au château pour l'anniversaire de ses 16 ans, croyant le danger écarté ( pas très futé, la garder cachée un jour de plus aurait été moins bête ), on voit que les pères respectifs ont comploté de les marier, le prince refuse et se fâche avec son père parce qu'il ne sait pas que sa promise et Aurore sont une même personne, il file la rejoindre mais se fait kidnapper par Maléfique, et les fées vont le délivrer, il affronte les épines ( donc, contrairement au conte, il se bat pour mériter sa récompense ), puis tue Maléfique-dragon ( scénaristiquement c'est malin cette transformation en dragon, qui permet d'éviter de voir un prince plonger son épée dans une femme ) et réveille Aurore d'un baiser, ils se marient et tout le monde est content.

...ça, c'est fait.


Les séquences comédie comique des fées sont assez réussies, celui des pères un peu moins, les passages d'aventure héroic fantasy assez fortes, mais dans la limite d'un film pour petits enfants.


On me signale que le prince ne prononce plus un seul mot dans toute la dernière partie - je vous laisse minuter à partir de son dernier dialogue, c'est surprenant.

Selon que vous préférez les princes-qui-parlent ou les princes-qui-se-taisent, vous êtes libre de le regretter -ou pas ;)


On voit bien, en analysant les changements apportés au conte, que l'équipe Disney cherche à muscler l'action, à désamorcer les éléments moralement insupportables, à renforcer tous les personnages féminins ( sauf la reine-mère ) en les rendant plus actifs et plus acteurs de leur destin.

Est-ce un mal ?


Sans faire trop d'analyse psycho, à la souche ( comme dit ma fille ) tout le conte tournait autour de la sexualité :


- Les difficultés des parents à avoir des enfants renvoient clairement à la notion de fécondité. Dans des légendes orales qui n'avaient pas encore été étudiées quand Disney fait le film, on trouve des récits très proches montrant la reine partir seule pour tenter de régler ça ( étrangement, alors que nos civilisations ont longtemps considéré que l'homme est déterminant en presque tout et la femme secondaire, dès que la fécondité cloche on désignait soudain la femme comme responsable et donc déterminante ), elle commence par se baigner dans une source où elle rencontre une créature surnaturelle de l'eau, qui la met sur la bonne voie ( la grenouille des Grimm en est peut-être une atténuation chrétienne ) et lui indique un château transparent où vivent 3 fées qui lui donnent des grigris magiques à employer au moment crucial, et ça marche, Roi et Reine invitent les fées pour les remercier mais oublient l'être de la fontaine, qui se venge.


D'autres éléments montrent que la méchante reine voulant manger le cœur, et surtout le foie ( symboliquement plus important dans plusieurs cultures archaïques ) renvoie à du cannibalisme rituel ( dévorer le foie de son adversaire pour absorber ses qualités ) et que les substitutions d'animaux sacrifiés pour remplacer l'humain créent une équivalence : si je te remplace par un marcassin, je crée une équivalence entre le marcassin et toi ( ou l'agneau, le chevreau...).

Le fait que ça se passe dans la forêt, pour Blanche Neige par exemple, pose l'équation : Une jeune humaine quitte le monde civilisé des humains pour s'enfoncer dans le monde sauvage de la forêt, et en contrepartie un jeune animal est prélevé dans la forêt et amené au château pour être dévoré à sa place = équilibrage.


Mais des éléments de légende très proches montrent la jeune princesse ( après avoir été longtemps enfermée dans un palais abrité de toute lumière du jour, à cause d'une méchante fée qui lui a jeté un sort ) être exposée à cette lumière au moment où elle se rend à ses fiançailles arrangées, et s'enfuir changée en biche, jusqu'à ce que le prince ( pas au courant ) la chasse et la transperce d'une flèche - mais tout va s'arranger magiquement et ils pourront s'unir. Equivalence claire entre cible amoureuse et proie, entre blessure et pénétration, entre prédation sexuelle et chasse.


On peut voir sans trop d'effort que, dans le conte, la jeune fille est dotée à sa naissance de toutes les qualités qu'on attend d'une fille parfaite ( assez consternantes si on lit le conte ), mais qu'il y a un hic : arrivée à la puberté ( tous insistent sur l'âge où elle devient "consommable" ), elle sera pénétrée ( le fuseau avec lequel elle se pique est un symbole transparent ).

C'est un sort fatal et inévitable, qui horrifie ses parents. Pourquoi ? parce qu'elle en mourra.

Ce danger mortel peut être compris de diverses manières :

- elle sera perdue pour ses parents, puisqu'elle ne sera plus leur petit enfant ?

- mort symbolique de la personne-enfant remplacée par la personne-adulte ?

- ou bien allusion aux risques très réels de la maternité ?

- simple volonté de faire peur aux gamines qui entendent ce compte, pour qu'elles associent la sexualité au malheur et n'y goûtent pas trop vite ?


Je ne sais pas.


En tout cas, l'atténuation par la fée - elle dormira juste 100 ans - est étrange.

On semble nous raconter que les parents vont édifier, à la majorité sexuelle de leur fille, un rempart impénétrable ( le mot est parfait ) autour d'elle pour tenir les jeunes mâles à distance, et la garder, elle, en vie suspendue pour éviter qu'elle aille au devant du sexe...mais qu'au bout de 100 ans, le jeune mâle adéquat pourra la cueillir.

Cependant, l endormissement arrive alors qu'elle est déjà piquée - donc, symboliquement, elle n'est plus intacte, plus vierge. Il y a un truc étrange dans cet enchaînement causal désarticulé.


100 ans, symboliquement c'est une vie. Pourquoi cette durée ?

En quoi est-ce que le franchissement des 100 ans rend soudain la sexualité acceptable ?


Pourquoi faut-il qu'elle soit inanimée ( et donc sans défense et sans possibilité de choix ) quand le mâle la cueille ?


Enfin, si vous trouvez que je sexualise exagérément tout ça, il faut savoir que Perrault s'est inspiré d'une histoire, Perceforest ( anonyme, 1340, époque de la Guerre de 100 ans ) qui ne laisse planer aucun doute :


"Zéphyr, se présentant sous la forme d’un oiseau, propose à Troïlus de le transporter dans la tour qui abrite la belle Zellandine, victime d’un enchantement. En effet, elle avait été condamnée à se piquer d’une écharde la première fois qu’elle filerait, par Thémis qui n’avait pas trouvé comme ses consœurs de couteau sur la table du repas de naissance. Troïlus s’éprend de la belle endormie et la viole sans la réveiller.

Toujours endormie, elle accouche neuf mois plus tard d’un nouveau-né, qui cherchant le sein de sa mère, tète son doigt. L’écharde sort et Zellandine revient à la vie."

...on voit clairement les éléments constitutifs du conte de Perrault déjà en place 300 ans avant : La jeune fille qui se pique en filant, le couvert manquant à la table du baptême qui rend une fée furieuse, le mâle qui pénètre sa chambre...et la belle par la même occasion.


( ce qui permet même de signaler en passant des éléments de continuité de ce mythe dans le scénario de Kirikou et la sorcière ! )

moranc
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le 13 oct. 2023

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moranc

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