Entre banalisation et accomplissement, La Belle captive (prolongement d'une nouvelle de 1977) est un quasi point final à l’œuvre d'Alain Robbe-Grillet. Ses activités d'universitaire domineront par la suite celles du créateur. Le précédent opus sur grand écran était Le jeu avec le feu (1974), série de mises en scènes libertines découvertes dans un château par une Alice. Avec ce huitième film, Robbe Grillet précise la nature de sa contribution au cinéma. Le chef de file du nouveau roman (lancé par ses Gommes) n'est plus tant dans la déconstruction ravageuse ; il livre une tentative convaincante d'imiter la texture d'un rêve (en reflétant l'illusion 'prémonitoire' due à la reformulation d'indices qui sont autant de réalités en germe).


C'est presque trivial pour un cinéaste expérimental, mais c'est aussi une façon de mûrir une proposition alternative. Dans le cas de Robbe-Grillet, c'est la conclusion logique pour un descendant par alliance des surréalistes, auxquels il rend hommage ; le titre du film est celui d'un tableau de Magritte, cité à de multiples reprises, investi et capturé à fond – y compris au sens physique. Il fait partie d'un cortège de motifs répétés, avec notamment les flash concernant la blonde (la fille du titre, par Gabrielle Lazure) sur la plage ; ou encore la femme en cuir noir sur sa moto (intermédiaire du 'héros' avec l'organisation, genre de femdom qui pourrait faire un tour du côté de Twin Peaks film). Cette Belle captive est sans doute plus simple que les anciens opus, se raccroche à quelques catégories dramatiques pré-existantes, telles qu'horreur et thriller mâtinés de divagations érotiques. Le fil général tourne autour d'une organisation secrète et de la mission d'un agent, Walter (par Daniel Mesguich, le type morbide du Dossier 51). Sa mission apparaît comme la couverture d'une désintégration intime, pour un homme poursuivi par de mauvais sentiments, ou humilié par une dette.


Robbe-Grillet est peut-être plus blasé que précédemment mais il y gagne, comme les gens ayant passé le stade de la recherche ou des revendications pour en venir à afficher leurs conclusions. Sa méthode devient presque transparente sans perdre en exigence, au service des mêmes caractéristiques : symbolisme omniprésent, effets narratifs saccadés, jeux de domination (sexuelle à terme) aux fondements de tous actes ou pensées. La structure est millimétrée, pour une narration non-conventionnelle, parfois détachée des personnages. Contrairement aux premiers films signés Robbe (L'Immortelle, Trans Europe Express), l'heure n'est plus aux joutes ou aux démonstrations malines, mais au délire 'catégorique' (et à une tournure masochiste). Cependant la compulsion à alimenter le non-sens prend parfois le dessus et débouche sur des sorties de pistes plus oiseuses, dont la scène du type à vélo (possible référence à un épisode du théâtre de l'absurde?) est l'exemple ultime. L'apparition d'Arielle Dombasle en est un plus tempéré (l'actrice, à ses débuts, est reconnaissable à ses expressions : celles d'Un indien dans la ville en plus loufoques).


Hormis ces quelques accès de pseudo-démence, La Belle captive est remarquablement lisse, cohérent avec son organisation. Robbe Grillet l'anti-réaliste touche à son but, tout en précipitant son système à un haut degré de vulnérabilité. Il moquait le style « balzacien », mètre-étalon du roman académique et estimait avoir proposé une alternative ; il montre maintenant qu'un film peut fonctionner (s'animer au-delà du simple essai froidement illustré) loin des rives d'un cinéma conventionnel qu'il abhorre – comme celui « nul » (dit-il) de Truffaut ou de Chabrol (au moins celui d'après leur adhésion de surface à la Nouvelle vague - à laquelle Robbe-Grillet pu être, encore plus vaguement, rattaché à ses débuts). Sa Belle Captive est proche à la fois de Jean Cocteau, des pérégrinations bisseuses de Jean Rollin et des envolées chromatiques d'Argento (Inferno, Opera). En même temps se découvre une puissance émotionnelle inédite chez Robbe Grillet, opérant de façon souterraine, presque en décalé ; formulant un aveu d'impuissance (ou d'usure des défenses) éclatant malgré la discrétion et la distance.


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Zogarok

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