Sauver son enfant des nazis en l’envoyant...dans une maison close ?

Déjà à l'origine des films Voyages sorti en 1999, et La Douleur sorti en 2017, Emmanuel Finkiel réalise son troisième film consacré au sujet pénible de la Shoah, en adaptant le roman de Aharon Appelfeld paru en 2006, et qui donne son nom au long-métrage, La chambre de Mariana. Pour ce film, l'intégralité du casting est composée de comédiennes et comédiens ukrainiens, à l'exception de celle qui tient le rôle titre, la française Mélanie Thierry, plus envoûtante que jamais, qui nous livre une prestation incandescente à même de hanter les esprits des mois durant.


À l'image du roman qu'il adapte, La chambre de Mariana prend place en 1943 durant la Seconde Guerre Mondiale, au cœur de l'Ukraine sous occupation allemande. Le jeune Hugo, âgé de 12 ans, et de confession juive, est confié par sa mère à son amie Mariana, une prostituée travaillant dans une maison close, et qui va cacher l'enfant dans sa chambre, à l'intérieur d'un réduit, un placard dissimulé dans le mur, et duquel le petit garçon va observer le monde dans toute sa froideur.


La force première du film est évidemment son dispositif particulier, directement hérité du roman de Aharon Appelfeld. Cette sorte de huit-clos très particulier et porteur de symboliques fortes. Car il n'est pas seulement question de la guerre et de la Shoah. C'est bien un film qui parle de l'enfance, et du passage à l'âge adulte, qui ici survient bien trop tôt pour Hugo dans ce contexte particulier. Il observe les adultes, et le monde, depuis un trou minuscule dans le mur derrière lequel il se terre, parabole de la compréhension réduite des enfants, qui va s'élargir avec le temps et les expériences. Tout comme Hugo va, à mesure que le film progresse, s'extirper de ce placard d’où il entend et entrevoit la sexualité, le mensonge, la violence, la haine, et va les comprendre progressivement, grandir trop vite.


Si le film explore avant tout ce monde en guerre à travers les yeux de Hugo, le personnage qui capte toute notre attention, c'est évidemment celle qu'il observe le plus, jusqu'à l'obsession, Mariana. Mélanie Thierry impressionne, pas uniquement par sa capacité à parler entièrement en ukrainien, langue qu'elle a apprise en à peine deux ans, mais surtout pour son jeu extrêmement riche et nuancé. Elle confère au personnage de Mariana une sensualité fragile, hypnotise par son regard aussi tendre que brisé, son sourire empreint de tristesse. De la première à la dernière minute, Mélanie Thierry crève l'écran, et constitue à elle seule une raison suffisante pour voir ce film.


La rupture avec l'innocence à la fin de la guerre est marquée par le rapport de Hugo au monde, aux femmes, et à la chair. Lorsque survient la scène, évidemment choquante, perturbante et glaçante, du premier amour du jeune garçon, il est difficile de ne pas repenser au début du métrage, lorsque l'enfant et son amie, alors encore insouciants, ne faisaient que s'allonger côte à côte, et s’imaginer, yeux clos, partager tout deux un baiser, comme les adultes le feraient. Relique d'une douceur perdue à jamais. Cette fin marque inévitablement le spectateur, plus encore que la scène, au demeurant difficile à soutenir elle aussi, durant laquelle Hugo expérimente la vision de la mort pour la première fois, lorsqu'il tombe nez à nez avec un charnier, dans lequel se trouvent sans doute bien des personnes qu'il a connues, toutes exécutées et jetées dans des conditions inhumaines. Elle divisera sans doute, tant elle balaye nos certitudes et nos sentiments à l'égard de Mariana.


Jusqu'au bout, La chambre de Mariana se refuse à faire la moindre concession, se ferme à l'idée de masquer, derrière la vision innocente qu'un enfant aurait du monde, la véritable horreur et l'absurdité de la guerre, et de nos sociétés dans leurs heures les plus sombres. Emmanuel Finkiel, en filmant Mariana, capture à la fois le meilleur et le pire qui se trouve en chacun, toutes les contradictions humaines qui font notre complexité, et rejette en bloc toute idée de manichéisme. Plus brillant encore, l'enfer en huit-clos de Finkiel est fait de silences, d'invisible, et d'ignorance. Impossible de rester de marbre en regardant ce drame historique et intimiste, qui résonne encore, trop fortement, à notre époque.


(vous excuserez le manque d’humour dans mon titre, bizarrement je me sentais pas de faire une vanne sur les juifs et les prostituées)

Cigarette-Burns
8
Écrit par

Créée

le 4 oct. 2025

Critique lue 2 fois

Cigarette-Burns

Écrit par

Critique lue 2 fois

D'autres avis sur La Chambre de Mariana

La Chambre de Mariana
Sergent_Pepper
8

Chambre avec vie

L’expression terriblement galvaudée de « secret le mieux gardé » pourrait malheureusement convenir lorsqu’il s’agit d’évoquer le cinéma d’Emmanuel Finkiel, dont le dernier film, La Douleur, remonte à...

le 5 mai 2025

17 j'aime

4

La Chambre de Mariana
cathVK44
8

Dans les interstices de la maison close, les souvenirs transforment et reconstruisent le réel.

À hauteur d’enfant, on ferme les yeux et on rêve. Dans les interstices de la maison close, les souvenirs reconstruisent le réel. Avec délicatesse, Finkiel joue avec l'espace ( presque un huis clos)...

le 26 avr. 2025

9 j'aime

3

La Chambre de Mariana
ianov
8

Le trou et la souris

Choc et vertige, sur un sujet des plus entendus, pour comprendre à la fin ce que le cinéma peut avoir de plus grand quand il ne crâne pas seulement de maîtrise. Bien réelle pourtant. Le coup...

le 30 avr. 2025

7 j'aime

2

Du même critique

The Alto Knights
Cigarette-Burns
7

Double dose de De Niro dans son nouveau film de mafioso

Les Affranchis, The Irishman, la saga Le Parrain, les grands films de gangsters consacrés à la mafia ont souvent investi la toile. Parmi les têtes d'affiches les plus cantonnées à ces rôles, Robert...

le 3 oct. 2025

1 j'aime

Black Dog
Cigarette-Burns
9

Quête de soit et de rédemption, en compagnie d’un beau toutou

Un héros solitaire et taciturne, parcourant sur le vieux bolide rouillé qu'il retape, un monde semblant désolé, habité par davantage de chiens errants que d'êtres humains, les seuls restants...

le 3 oct. 2025

1 j'aime

Conjuring - L'Heure du jugement
Cigarette-Burns
3

Film de démons qui manque diablement d'inspiration

Après douze ans, dix films dont six spin-off, et avec une série actuellement en préparation, la branche principale de la saga Conjuring consacrée au couple Warren s'achève, et même si l'on sait...

le 14 oct. 2025