Si on admet que le petit Royaume Uni et ses 24 millions de sujets (en 1860) a dominé le monde sans partage, sur terre et sur mer, de 1810 à 1915, on doit lui reconnaître une extraordinaire supériorité militaire. Nos braves soldats, qui méprisaient les Allemands – une attitude qui leur valut quelques déboires au siècle dernier – développèrent, de Crécy à Waterloo, un grave complexe d’infériorité face aux Anglais.


Méritent-ils cette admiration ? C’est le sujet de La charge de la brigade légère. L’enquête est sérieuse, la reconstitution parfaite et les acteurs excellents. De l’enrôlement au dressage, des bons moments aux brimades, rien ne nous est caché. Les sous-officiers maltraitent les soldats et sont soumis aux tocades d’officiers vaniteux, riches et veules. Les généraux vivent dans le souvenir de Nelson et Wellington, deux génies qui illustrent leurs propres incompétences. La colossale statue du second erre comme une âme en peine dans Londres. La scène où les vieux lords se disputent les commandements est d’une drôlerie sans nom. Nous les retrouverons, dans l’épilogue, se rejeter mutuellement la responsabilité de la fameuse charge.


Près de vingt ans avant Stanley Kubrick et Full metal jacket, Tony Richardson bâtit son film en deux temps : une première moitié à Londres où le burlesque domine, tandis que la belle Vanessa Redgrave, son ex-femme, apporte une touche féminine, puis, sans transition, la guerre et la tragédie. Quelques intermèdes graphiques ironiques apportent le minimum d’informations sur le contexte historique.


Nous sommes le 25 octobre 1854 en Crimée. Pour une vague histoire d’accès à la Méditerranée et en soutien des forces turques, Français et Anglais affrontent leurs anciens alliés.


Les faits, les Russes tiennent une cuvette et ont disposé, tout autour, leur artillerie. Au réveil, ils lancent un assaut contre des batteries ottomanes, mais sont contenus. Les Russes reculent. Lord Raglan, le patron britannique, veut poursuivre et ordonne à lord Lucan, le commandant de sa cavalerie, de déloger les Slaves des hauteurs pour protéger ses artilleurs. Conscient de la puissance des positions adverses, Lucan refuse de bouger sans soutien d’infanterie. Raglan insiste. Lucan transmet l'ordre à son beau-frère et subordonné lord Cardigan, qu'il déteste ! Le fantasque Cardigan, admirablement joué par Trevor Howard, n’est guère plus enthousiasmé, mais ne peut récuser un ordre écrit, fût-il flou. Manifestement distrait, au lieu d’attaquer les canons les plus proches, il se précipite sur la batterie principale, au fond de la vallée. Il s’offre une charge de plus d'un kilomètre sous le feu de 20 bataillons et d’une cinquantaine de canons.


Revenons à Tony Richardson, comme à la parade, ses cavaliers s’alignent sur trois rangs. L’affaire prendra 20 longues minutes. Un tiers pour traverser la plaine, un petit tiers pour massacrer les artilleurs, un interminable dernier tiers pour rentrer sous le feu des canons latéraux. Le repli est laborieux, les rangs ont disparu, les cavaliers rentrent à pied. Sur 673 hommes, Raglan a laissé 113 morts et 247 blessés sur le terrain. « C'est magnifique mais ce n'est pas la guerre » lâche le français Bosquet. Est-ce vraiment magnifique ? Leur courage ou leur obéissance...


L’affaire a déplu à la gentry britannique. 113 morts, dont de nombreux officiers, pour sabrer une poignée de moujiks : c’est trop cher payé. Une enquête est lancée. Il apparaît que l’ordre, objectivement ambigu, a été transmis par le capitaine Nolan (David Hemmings), aide de camp de Raglan. Il pourrait avoir ajouté des précisions malheureuses, hypothèse d’autant plus plaisante qu’il a eu le bon gout de succomber. Raglan meurt l’année suivante. L’enquête absout Lugan et Cardigan, qui seront promus, mais ne se verront plus confier de commandements actifs. L’affaire est close.


P.S. Les 400 000 morts du conflit, en grande partie dues au choléra, font de cette affaire une douce escarmouche. Seule la forte proportion d‘aristos anglais justifie sa célébrité.

Créée

le 10 juin 2019

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Step de Boisse

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