Western fondateur où John Ford a mis tous les ingrédients qu'on rencontrera ensuite dans le genre, c'est surtout qu'avec ce film, Ford donne un sens nouveau au western, introduisant dans la convention du genre les détails psychologiques et l'analyse sociale. En effet, c'est un huis-clos pour un petit groupe de personnages représentatifs de la société de l'Ouest sauvage du 19ème siècle, les caractères se révèlent lors du voyage périlleux où la diligence doit traverser des territoires hostiles envahis par les Apaches de Geronimo. Il y a là Dallas la fille de joie chassée par les gens respectables, le bon docteur Boone, toujours imbibé, mrs Mallory, la dame comme il faut, Hatfield, le joueur romanesque et gentleman, mr Peacock le négociant poltron en whisky, Gatewood le banquier véreux et détestable, auxquels se joint Ringo l'outlaw au grand coeur. Curly le sheriff et Buck le conducteur terminent cet équipage. Le danger va servir de révélateur, démasquant les hypocrites et montrant sous leur véritable jour la bonté de ceux qui sont considérés comme des parias, tels Dallas, Ringo ou Hatfield ; en quelques plans, John Ford fait de cette diligence et de ses passagers le plus édifiant des microcosmes humains. Il aime l'humanité pure et humble (les exclus) et règle ses comptes avec les installés qui donnent des leçons de morale, de même qu'il ne craint pas les scènes chargées d'émotion.
C'est le premier classique du western, parce qu'avant 1939, le western n'existait que sous la forme de petites productions de série B tournées rapidement. Le film de Ford est donc d'un degré supérieur, et Ford utilise pour la première fois le décor sensationnel de Monument Valley, alors que beaucoup de petits westerns étaient tournés en studio. D'autre part, en 1939, apparaissent d'autres productions importantes comme Jesse James le brigand bien-aimé de Henry King, les Conquérants de Michael Curtiz, ou le Pacific Express de Cecil B. De Mille... des westerns qui auront toutefois moins d'impact que le film de Ford qui porte le genre à la perfection en lui donnant de vraies lettres de noblesse. De genre mineur, le western devient une mine de sujets pour les firmes hollywoodiennes et des réalisateurs comme Hawks, Mann ou Daves...
C'est le plus célèbre western de l'histoire du cinéma et le plus connu des films de John Ford, mais je tente une petite mise au point en m'opposant au concert de louanges que j'entend depuis des années et qui portent ce film au pinacle : ce n'est pas pour moi le meilleur western de Ford, il est largement surpassé par la Charge héroïque, la Prisonnière du désert ou L'Homme qui tua Liberty Valance. Ceci étant dit, il reste indéniablement un chef-d'oeuvre du western, rien de plus mais rien de moins.
Un mot sur l'interprétation qui contribue à la perfection : elle est tout simplement prodigieuse, que ce soit Claire Trevor dans ce rôle attachant de fille dévouée, John Carradine magistral en joueur qui trouve la rédemption par sa bravoure, Thomas Mitchell qui gagna l'Oscar pour son rôle de médecin alcoolique, Donald Meek en petit monsieur révérencieux, Andy Devine le conducteur affable... et puis bien sûr ce fut la révélation de John Wayne qui à 32 ans, tournait pour la première fois sous la direction de Ford, et deviendra ensuite son acteur fétiche. Il bénéficie d'un plan d'entrée en scène étonnant mais très rapide : il est seul dos à Monument Valley, avec sa Winchester en main, fait signe à la diligence, et la caméra se rapproche de lui jusqu'à un gros plan foudroyant ; c'est la naissance d'un héros en devenir.
On n'oubliera pas la séquence mémorable de l'attaque de la diligence, constituant le morceau de bravoure du film, qui est désormais légendaire dans l'histoire du western, même si la formule a été depuis cent fois imitée.
De même que la musique joue aussi un grand rôle ; elle n'est pas signée Max Steiner ou un autre grand musicien de l'époque, il s'agit d'arrangements effectués par Boris Morros d'après de vieux airs folkloriques, et le thème principal qui obtint l'Oscar est inspiré d'une vieille chanson de l'Ouest. Ainsi donc, avec tous ces éléments combinés et la parfaite adéquation entre le voyage, la progressive découverte psychologique et le rythme de l'image et de la musique, ce film reste un grand moment de cinéma.

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le 7 sept. 2017

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Ugly

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