La Collectionneuse, quatrième conte d'Éric Rohmer et son troisième film, s'inscrit dans la lignée de ses Contes moraux, où se déploie le motif de l'homme troublé (Daniel) par une autre femme (Haydée).


Haydée la Collectionneuse — ou l’exécrable ingénue selon certains — est une figure riche et nuancée. Par sa qualification de collectionneuse, une hiérarchie de pouvoir s’instaure entre elle et les hommes. Elle incarne une forme singulière de liberté, que l’on peut sûrement rapprocher des idéaux de la Nouvelle Vague. Les actions de cette Particulière sont motivées par la quête incessante du « quelque chose » qu’elle trouverait peut-être à travers l’amour d’un homme :


Je ne suis pas une collectionneuse. C’est entièrement faux, je cherche. Je cherche pour essayer de trouver quelque chose. Je peux me tromper.

Elle s’engage dans une forme de don de soi symptomatique en enchaînant les liaisons éphémères avec des hommes dénués de tout intérêt. Sa liberté lui octroie cet ascendant sur les hommes. Ils se succèdent dans la maison, métaphore d’une galerie d’art où l’on exposerait des anciens vases chinois et qui se briseraient lorsqu’on ne ferait plus vraiment attention à eux.


La singularité de cette jeune femme entre en écho avec Adrien, le paresseux Barbare. Par une moralité légère, ils sont les originaux de ce conte : ils ne chercheront jamais à mettre en péril leur liberté.


Et dans ce couple difficile et ennuyeux, Daniel l’Alambiqué tente ses cartes. Aspirant au dandysme à son paroxysme, il voit sa paresse compromise par la présence de cette fille. De la Collectionneuse s’émane le désir, et il en est la victime. Bichon. Parce qu’il est le narrateur du conte, sa perversité est révélée. Une contradiction se fait alors entre ses commentaires, qui traduisent en Haydée une manipulatrice, et l’image, qui peint les avances tendancieuses de Daniel. Il n’est pas un objet de la collection, mais il demeure dépendant d’elle – ce qui le pousse à quitter en grande hâte la maison désormais vide.



Les dialogues des trois protagonistes révèlent leurs motivations intrinsèques, ce qui les anime : beauté et charme, à la recherche de la paresse et de la collection. L’élégance du cinéma de Rohmer tend vers un détachement de la superficialité, offrant avec simplicité l’image du réel.


4/6 des Contes moraux de Rohmer



Reua
8
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le 20 mars 2024

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