Les moches sont une insulte envers l'humanité entière

D'entrée, le thème est posé. Gros plan sur une fille, entre les deux parties du maillot. On parlera de cul, d'amour, mais avec la patte de Rohmer, on parlera de cul couvert par un string de raffinement.

Et le film, c'est juste ça. Un huis clos avec un mec qui veut baiser une fille mais qui ne veut pas se l'avouer, mentant totalement au spectateur pendant une heure et demi en expliquant que la fille n'est pas assez noble pour lui, que sa morale est trop élevée pour faire parti de la collection de n'importe quelle cochonne qui enchaîne les hommes. Pourtant, Rohmer nous fait bien sentir par sa caméra qu'il crève d'envie de se la faire, la petite Haydee. Que son sourire angélique le fait craquer, qu'il est complètement obsédé par elle au point de passer son temps à essayer de mettre au point pseudo-stratagème, sensé être malin, sur analyse à côté de la plaque de la situation. Bref, il se ment complétement à lui même, et finalement, en tant que spectateur, la grande question est: va-t-il enfin prendre conscience de son vrai désir?

Le film mise tout sur ce huis clos oppressant, mais sans la longueur des dialogues de Ma Nuit chez Maud. Ici, l'action est étalée dans le temps, pour que le personnage principal puisse prendre le temps de disserter sur la situation, pour que le suspense s'installe, pour que le rythme chaloupé des vacances puisse s'imposer. Du coup, je me suis un peu reconnu dans le héros, du genre à cacher ses envies derrière une connerie et préférant soi disant la rêverie rousseauiste à l'action pure (pécho la nympho donc), alors qu'il crève d'envie de faire l'inverse.

Et c'est dans la rêverie qu'intervient le petit élément en plus du film: la Provence. Tout change quand ça se produit à l'ombre des grands arbres, entre les grandes battisses sobres et les étendues verdoyantes, entre la terre et la plage. La nature occupe un rôle prépondérant dans le film, et Rohmer excelle quand il faut filmer en extérieur. Et puis voir ces trois personnages bloqués dans cette grande maison, coincés dans le même salon entre lecteurs des œuvres complètes de Rousseau et d'une étude sur le Romantisme allemand, c'est juste jouissif. Une telle concentration de mensonges, de jugements ratés, de pulsions inassouvies, ça génère forcément un intérêt chez le spectateur.

Et puis les thèmes abordés, juste géniaux. Entre le dialogue introductif qui nous explique posément que les gens moches sont une insulte à l'humanité toute entière, et les scènes où Adrien disserte sur sa prétendue camaraderie avec Haydee en se faisant repoussé par elle, il y a toute cette réflexion sur le jugement moral, qui finalement se révèle être encore une fois l'arme du faible qui n'agît pas.

J'adore les contes moraux de Rohmer, mais celui-là, il arrive à déployer une tension érotique grâce à la simplicité du dispositif, mêlée à une ironie permanente, et ça lui confère une identité propre.
W_Wenders
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le 26 nov. 2014

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W_Wenders

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