Lorsqu'on jette un coup d’œil à la filmographie de Stephen Hopkins, on remarque tout de suite que le long métrage dénote pas mal avec les autres, au point de faire presque figure d'attrape-prix. Pourtant, si un certain académisme y est bel et bien présent, on peut difficilement arguer le réalisateur d'être un élève modèle au vu des multiples maladresses du film.


Race tente de jouer sur deux tableaux en inscrivant la vie de l'athlète dans le contexte géopolitique brûlant qui a entouré les JO de 1936. Sur papier, c'est une alliance judicieuse, le sport étant un soft power plutôt influent. Il suffit d'ailleurs de se tourner vers les prochains Jeux de Rio pour le constater : du braquage de caméras sur Yusra Mardini (nageuse syrienne réfugiée) au scandale du dopage d'État en Russie. Le problème c'est que l'assemblage qui en découle s'avère assez bancal. Le film ne parvient jamais à apporter une réelle profondeur aux débats idéologiques qui se déroulent en coulisse et il se contente d'écumer la surface de l'homme qui se cache derrière l'athlète. Toutes proportions gardées, Michael Mann y était parvenu sans problème avec Ali.


J'ai toujours eu une certaine méfiance sur la portée romancée des biopics et j'ai ce réflexe naturel de faire à un petit fact cheking de circonstance pour déceler le vrai du faux. À mon grand étonnement, tous les faits présentés reposent sur des bases réelles...à l'exception d'un "petit détail" : le refus du serrage de main d'Hitler.



Owens, pour sa part, affirma dans ses mémoires qu'Hitler ne l'avait pas snobé et lui avait fait un signe de la main lorsqu'il était passé devant sa loge : « Quand je suis passé devant le chancelier, il s’est levé, a agité la main vers moi, et je lui ai fait un signe en retour. Je pense que les journalistes ont fait preuve de mauvais goût en critiquant l’homme du moment en Allemagne ». Et Jesse Owens ajoute à ce propos : « Hitler ne m'a pas snobé, c'est Roosevelt qui m'a snobé » - Wikipedia



En plus d'être honteuse et indéfendable, cette déformation de la réalité est assez symptomatique de cette volonté de marquer cette opposition Hitler v Owens coûte que coûte. Le reste a beau être crédible, il est impossible de ne pas déceler tous les artifices narratifs utilisés pour esquisser un portrait héroïque et irréprochable du Champion et de son camps. À l'image d'une aventure extra-conjugale transformée en un simple rapprochement ambigu rapidement avorté ou encore de la ségrégation locale évoquée sans trop faire de vagues. C'est presque un comble d'utiliser ces procédés de "propagande" qui nous rappellent que le Cinéma est lui aussi un soft power à part entière...


D'autre part, je pense que l'athlétisme est un sport magnifique propice à délivrer de purs moments cinématographiques sublimant toute la grâce des corps en mouvement. Hopkins avait ici l'occasion de saisir cette essence, mais il s'est contenté d'une succession de choix de mauvais goût annihilant totalement cet aspect. D'un côté on peut comprendre qu'il soit compliqué de retranscrire des exploits physiques avec un acteur n'évoluant pas dans le milieu sportif, mais je trouve que le réalisateur utilise souvent la carte de la facilité et enchaîne les solutions cache-misère : des plans qui se concentrent sur les réactions du public, des vues très éloignées de la piste, etc. Et lorsqu'il décide enfin de montrer les épreuves, la postproduction en rajoute tellement des caisses qu'on a l'impression de voir le sprint factice d'un Captain America en pleine vitesse... C'est terriblement ironique lorsqu'on voit l'importance du rôle imputé à Leni Riefenstahl.


Ce manque de maîtrise se confirmera tout au long du film. Les CGI bas de gamme intègrent très mal les décors reconstitués et la photographie douteuse renforce l'ambiance artificielle. L'un des exemples les plus frappants est certainement l'arrivée d'Owens au stade olympique de Berlin. Nous le voyons surgir d'un couloir sombre pour se diriger vers la piste. Durant toute la séquence, la caméra reste rivée sur le visage de l'athlète, avec une minuscule profondeur de champ. Le stade se voyant ainsi réduit à une masse floue difforme. Un parti pris qui nous coupe totalement de cette impression de grandeur et de l'intensité de la scène. D'autant que Stephen James n'a pas un jeu suffisamment développé pour nous faire vivre toute la magie de l'instant.


Race constitue donc l'essai raté d'un cinéaste vite rattrapé par ses excès de zèle. Owens aurait mérité un bien meilleur hommage. Dommage.

GigaHeartz
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le 30 juil. 2016

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