Le réalisateur de La Trahison a donc choisi à dessein l'ellipse et l'épure pour montrer l'enchainement accéléré d'événements mineurs qui déterminent et scellent néanmoins le destin d'Ali, comme celui de ses deux amis Nasser et Hamza. C'est donc bien un mécanisme de désintégration que Philippe Faucon décrit : celui des blessures, des désillusions ressenties comme un empêchement et un frein qui génèrent aigreur, rancœur et frustration, le terreau idéal sur lequel un aîné trentenaire, charismatique et fin observateur, va bâtir son entreprise d'endoctrinement et de retrait du monde (famille, travail). Ramassé et concis, le film se révèle terriblement implacable tant il met en scène l'impossible retour en arrière et l'éventuel enrayage d'un engrenage parfaitement huilé. On aurait pu craindre sur un tel sujet un traitement manichéen ou caricatural, mais les personnages de l'Imam modéré prêchant justement contre l'escalade violente, et surtout ceux de la mère et du frère aîné d'Ali sont là pour rappeler la complexité de la situation, et aussi qu'il existe un Islam éclairé et pacificateur, hélas plus discret ou moins médiatisé que l'Islam des valeurs rétrogrades, récupérant les colères et les insatisfactions d'une jeunesse ostracisée pour les rallier à sa funeste cause.

La transformation d'Ali, qui s'opère doublement sur le plan mental et physique (le nouveau venu (Rashid Debbouze particulièrement convaincant), trouve à la fois ses origines dans les refus répétés qu'il essuie lors de sa recherche de stage et dans la perception imprécise du parcours de ses parents. Peut-être l'image du père malade et hospitalisé souligne-t-elle avec insistance cet état de faits, alors que le reste se démarque au contraire par l'absence de sensationnalisme et de messages délivrés. L'approche de Philippe Faucon ressort de la sociologie, en tout cas elle saisit par sa justesse et sa réussite à établir un état des lieux quasi exhaustif sans fioritures ni lourdeurs. Au contraire, on trouve même que la dérive d'Ali se produit trop rapidement, mais au final cela participe à la concision de l'ensemble.
PatrickBraganti
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le 17 févr. 2012

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