La vie est-elle si belle ? Réalisé par Frederico Fellini, La douceur de vivre (en français), propose de suivre sans relâche le protagoniste, Marcello et sa progression dans une Rome des années 1960 en pleine extension architecturale et culturelle. Son métier de journaliste le pousse à s’introduire dans les dîners mondains, les fêtes démesurément insouciantes et à côtoyer les plus grands acteurs de la bourgeoisie et de l’industrie cinématographique. Bercé par la merveilleuse bande originale de Nino Rota, le film laisse transparaître une certaine douceur mais également un désir de vivre.


Le désir est par ailleurs un des concepts principaux de l’œuvre. La scène de la fontaine de Trevi devenue culte pour la cinéphilie mondiale, dépeint romantiquement le portrait de ce désir impossible. En pleine nuit et au cœur de Rome, Sylvia (interprétée par Anita Ekberg, important sex-symbol de l’époque) patauge gracieusement dans l’immense fontaine de Trevi et invite Marcello à la rejoindre. En vérité, elle invite le spectateur à vivre un véritable rêve, à s’approprier de la vision fantasmatique de Marcello ne la lâchant pas du regard et du bout des doigts. Comme tout rêve, la séquence abandonne la notion du temps. En un fragment de secondes, la fontaine cesse de couler et l’on passe de nuit à jour. Marcello semble le seul à prendre conscience de cette anomalie temporelle, comme si il était entrain de se réveiller. Le désir, dans La dolce vita, passe par des sentiments principalement oniriques. Virevoltant et n’oubliant jamais d’user de son charme, Marcello n’oublie pas de montrer son désir de conquêtes sentimentales et leurs démesures. Le désir n’est pas l’unique notion du film et d’autres concepts son bien évidemment abordés comme l’absence d’amour familial, les débordements de la foi, la notion de partage et l’ambition qu’a Marcello pour l’écriture.
Ce dernier point introduit un deuxième élément crucial du film : la désillusion.


Le protagoniste aspire à être écrivain mais on ne lui propose que de coucher sur papier les apparitions de la vierge Marie vues par des enfants ou des entretiens avec des vedettes du cinéma mondial. Pouvant paraître amusant, voire prestigieux, de tout ceci ressort uniquement de l’ennui. Celui d’un métier superficiel créé pour divertir un public de lecteurs qui demande toujours plus de spectacle. Le film montre les magouilles journalistiques pour rendre plus intéressant un sujet, l’omni présence invasive des paparazzis sur tous les terrains (y compris dans la vie privée de Marcello), très largement comparés à des insectes nuisibles dont on ne peut se débarrasser. Le bonheur semble également illusion dans l’entourage de Marcello puisque Steiner, un ami à lui qu’il considérait comme l’homme le plus heureux, viendra à assassiner ses deux enfants puis à se suicider sans aucune explication. Cet acte tragiquement absurde contribuera à la lourde perte d’idéal chez Marcello. La désillusion va jusqu’à toucher les relations amoureuses à travers la tristesse du fantasme qui ne pourra jamais se réaliser et cette réalité qui ne cesse de rattraper les désirs des personnages. La passion n’est que contrainte, hystérie et parfois même violence. C’est en ça que La dolce vita est une belle œuvre : elle ne cesse de questionner l’image que l’on peut se faire du bonheur et invite à le distinguer du désir, sans cesse inassouvi.


Si le film propose une thèse, ce ne serait certainement pas « La vie est belle ! » ou « La vie est terrible », mais plutôt « Cette vie n’est qu’un spectacle ». Il serait inutile de généraliser le récit car La dolce vita ne présente pas une vision de la Vie en générale, mais les fragments de celle d’un jeune journaliste vivant à Rome durant le début des années 1960. Les fragments d’une vie de démesure où tout est jeu : les rapports humains, l’argent, l’information, la famille, la séduction...


Le protagoniste semblant tout faire pour plaire, dans un système surmédiatisé, est en définitive le seul à ne plus croire à ce spectacle et à vouloir détruire cette unicité du faux. Le fond du film La dolce vita peut rappeler l’ouvrage La Société du Spectacle de Guy Debord (cinéaste et philosophe ayant inspiré les mouvements révolutionnaires de mai 68) et plus particulièrement le fragment 3 du chapitre I :


"Le spectacle se présente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l’unification qu’il accomplit n’est rien d’autre qu’un langage officiel de la séparation généralisée" .


C’est peut-être ça que montre le film de Fellini : le spectacle devenu sociétale n’est qu’une manière de séparer les hommes. C’est certainement de ça que née la signification de la dernière séquence : Marcello est sur une plage, ivre. Il croise du regard une petite fille qu’il avait déjà aperçue dans un restaurant. Elle tente de lui parler mais lui n’entend rien à cause de la distance et du bruit des vagues. À part une impossibilité de communiquer entre les deux personnages, le dernier plan du film met en scène le regard rempli d’espoir de cette enfant, invitant certainement Marcello et le spectateur à, ce que pourrait être, une douceur de vivre.

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le 4 juin 2018

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