Ces dix dernières années, alors que la moyenne d'âge de son audience-cible semble chuter à vue d'œil, Hollywood s'amourache régulièrement, et généralement pour une durée limitée, d'un nouvel auteur de best-sellers pour teenagers, que ce soit dans le registre du fantastique/SF gynocratique très à la mode (Twilight, The Hunger Games, Divergente, etc.), ou dans le registre du drama simili-existentiel. Le platement nommé John Green est l'heureux élu actuel, et après nous avoir saoulés avec son adaptation chouineuse du chouineux The Fault in Our Stars, caricature de chantage lacrymal déguisée en romance caractérielle), la Fox nous revient pile un an plus tard avec Paper Towns (La Face cachée de Margo), « coming of age movie »… que l'on a déjà vu cent fois par le passé, en cent fois mieux. « Cliché » et « caricatural » sont deux termes qui reviendront sans doute souvent dans cette critique, à tel point que vous la croirez écrite par E.L. James, donc, par avance, toutes nos excuses. En même temps, difficile de se motiver pour la critique d'un film dont l'auteur du roman original écoute Taylor Swift (merci, la section trivia d'IMDB !).


Parce que oui : dans PT, vous aurez droit à tous les clichés du genre, de la voix-off rétro-introspective riche des enseignements que va nous prodiguer ce récit initiatique, à la discussion émotionnante entre potes sur ce que leur amitié va devenir après la remise des diplômes (« pas vrai qu'on restera les meilleurs amis, hein, les gars ? »), en passant par le pote un peu pervers et super-loser qui finit pourtant par pécho car tout est bien qui finit bien, la nuit du dépucelage (censément magique), et le sacrosaint bal de fin d'année où tout le monde danse (encore que cette partie n'est a priori pas présente dans le roman, donc merci, la Fox !). Pour quoi ? Une énième de ces histoires dont on se demande bien quelle serait bien la réception critique si elles inversaient les sexes, idéalisait le garçon et gagaïsait la fille...


La muse, puisqu'on en parle, qui aide le jeune héros à s'affirmer, à passer au fameux âge adulte, est peut-être un autre cliché, mais un contournable avec suffisamment de talent talent : il suffit de voir la Penny Lane d'Almost Famous (Presque Célèbre) ou la Sam de The Perks of Being a Wallflower (Le Monde de Charlie). Las !, si PT a déjà été vu cent fois par le passé et en cent fois mieux, c'est parce qu'il se plante sur ce point pourtant crucial : en l'état, tel que livré dans les salles obscures, le personnage-titre de Margo ne mérite pas le dixième de l'amour fasciné que lui porte le héros transi. D'abord parce qu'il faut un peu plus qu'une poignée de scènes mollement effrontées (Margo emballe la voiture de son ex-BFF avec du papier-plastique, ouaaaah !) pour donner du caractère à un personnage qui tient sur un ticket de métro et relève du plus intégral cliché d'ado rebelle. Un moment, le film suggèrera à demi-mots que Margo n'est rien que ça… avant de se contredire à la toute fin en faisant à nouveau d'elle une figure insaisissable et mystique (« certains disent qu'ils l'ont vue ici, d'autres disent qu'ils l'ont aperçue là… »). Ensuite, parce le personnage, déjà bien fragile, subit une interprète bas-de-gamme en Cara Delevingne, énième fashionista-people fille de millionnaire et « socialite » bisexuelle s'étant mis en tête de devenir quelque chose de substantiel (népotisme, yay !), dont on prend les excentricités pour du caractère, et la correspondance aux canons de beauté actuels pour du charisme. On ne demande qu'à être convaincu l'année prochaine avec Suicide Squad, mais là, c'était à peine plus convaincant que Cindy Crawford dans Fair Game – et puisqu'on parle de The Perks… plus haut, qui sait quel bien aurait fait au film le casting d'une Emma Watson ! De son côté, Nat Wolff, l'interprète principal du film, s'en sort tout juste dans le rôle du héros penaud (comme c'était le cas dans le fadasse Palo Alto et le méconnu Stuck in Love), et n'a certainement pas les épaules d'un personnage central. Vous l'avez compris, on est loin de ce qu'avait TFIOS sur ce plan, avec le couple Woodley /Ansel Elgort – ce qui était, alors, déjà ça.


Dans TFIOS, Woodley était mourante, ça créait du « drama », puis [spoiler alert !] c'était au tour d'Elgort, ce qui créait encore plus de drama. C'était peut-être bon, ou mauvais, mais au moins, ça mettait de l'ambiance. Que se passe-t-il dans PT ? Ben, pas grand-chose. Si le récit s'axe sur la question motrice « Où est passée cette satanée Margo ? », pas le moindre sentiment de mystère ne charge de son électricité l'action du film, ce dernier suivant sagement son petit jeu de piste parfaitement oubliable qu'il essaie de faire passer pour une « enquête », et son road-trip tant attendu de second acte, que l'on espérait plein d'inattendu et de rebondissements, sera plus marqué par l'ellipse qu'autre chose. Tout le reste, les scènes de lycée, les discussions entre potes sur cette satanée Margo et les minettes de la classe, relèvera de l'ersatz d'American Pie & Cie – ouais, enthousiasmant.
À partir de là, pas emballé par le couple principal ni par l'enjeu du récit, vous savez que vous n'allez pas découvrir un chef-d'œuvre. Mais si la casse est justement limitée, dans PT, par son côté American Pie rencontre Vertigo et un quota raisonnable de répliques distrayantes, elle aurait pu l'être bien davantage. Par exemple, PT aurait pu raviver notre intérêt avec la jolie Lacey, personnage autrement plus intéressant en ce qu'il s'avère être davantage qu'une vignette convenue (on la croyait ex-BFF traitresse de Margo/biatch à la Mean Girls, c'est en fait une chic fille, pardon, [spoiler alert !]), et jouée par une Halston Sage autrement plus singulière. On se prend même à espérer que Q, le héros, finira par remplacer son fantasme juvénile sans substance (Margo) par une « vraie » fille accessible (et en fait, plus canon, mais ça, faut pas le dire)… Las !, elle aussi finit par passer à la moulinette, envoyée dans les bras du pote loser pervers susmentionné en UNE scène bien pratique (il prend le volant cinq secondes pour éviter une vache au beau milieu de l'autoroute = my hero !), alors que ce dernier reste la parfaite loque qu'elle refoulait encore la veille.


Rien n'existe vraiment par soi-même, dans PT. Certains vantent, en dernier recours, son dénouement original, comme celui de TFIOS, vraisemblablement la marque de fabrique de John Green, qui refuse courageusement de se laisser piéger par les codes éculés du genre. Le problème, c'est qu'autant ça marchotait dans ce dernier (avec l'inversion des rôles au dernier moment), autant c'est, dans PT, couru d'avance tant sont gros les sabots de sa leçon de vie. On sait que tout ne va pas se passer comme prévu dans la tête de Q, parce qu'un Green n'est pas si branleur que ça. Mais comment ? Ben, par-dessus la jambe, et sans que l'on n’en ait rien à foutre. Le message sur l'amitié, tout aussi convenu, ne sert qu'à trouver une utilité aux deux amis du héros, aussi oubliables que son « enquête » (au loser pervers s'ajoute le renoi de service dont on fait un être délicat par peur du cliché raciste). En quête de personnalité, le scénario a recours au quota de gimmicks inhérent à tout film désespéré de rester dans les mémoires, pour un résultat aussi « random » que les délires améliepoulinesques de Jeunet (des « black Santa Claus », sérieusement ?). « Paper Towns » ? Ou l'art du titre bidon : une idée qui ne mène nulle part, et ne sert qu'à donner une apparence de relief à une histoire sans relief. Quand on y pense, TFIOS n'est pas mal non plus, comme titre-poudre aux yeux… bref. Rien ne se ressent autrement que comme un clip de pop music entraperçu sur Mtv. Dans TPOBAW, la voix-off de Logan Lerman (déjà justifiée car tapée à la machine à écrire) ajoutait vraiment à la charge émotionnelle de la magnifique scène finale (dans le tunnel de Fort Pitt). Celle de Nat Wolff tombe à plat. Sincèrement, on n'en a rien à foutre. Ou alors, on est une gamine de quinze ans. Et encore, pardon, gamines de quinze ans.


Incapable de donner à pareil récit les couleurs qui lui manquent, Jake Schreier, à qui l'on doit pourtant le joli Robot & Frank (2012), semble correspondre au profil-type du gentil réalisateur indé qui, une fois sous l'emprise des studios, perd tout ce qu'il avait de roubignoles : balisée, sans vraie faute de goût mais surtout sans aucune saveur, sa mise en scène ne capture à aucun instant l'esprit d'aventure adolescent, ne saisit au tournant d'aucune scène le centième du vent de folie doux-amer propre à cet âge ; s'il ne s'agit pas d'un cas d'émasculation corporate, alors Schreier était simplement inadapté au sujet. Trop loin de son enfance. Ou bien peut-être, juste, pas assez bon.


À mille lieues de la charge dramatique d'un TPOBAW, loin d'être aussi fun que des comédies Apatow du type Youth in Revolution (Be Bad !) qui parviennent malgré tout à porter en elle une substance mélancolique, et, pour rester dans la production teen récente, loin d'une excellente surprise du type d'Adventureland, Margo est un échec inoffensif, regardable à condition d'une grande tolérance envers le genre, et d'une humeur magnanime. Il est donc déconseillé d'attendre, en esthète du genre, qu'il reproduise l'effet 80's tant regretté par les trentenaires et plus (comme The Girl Next Door avait su le faire avec les honneurs en restituant l'effet Risky Business), ou simplement séduise notre fibre adolescente. Quand on y pense, rares sont les films qui y parviennent.


Note 1 : Shailene Woodley, initialement prévue pour le rôle, aurait été aussi inappropriée que Delevingne... pour des raisons inverses : charmante et charismatique, mais certainement pas assez jolie. Non, il aurait fallu... qui aurait-il fallu, tiens... quoi, vous n'avez qu'Hermione, en cuisine ? Elle commence à prendre de l'âge, la petite.
Note 2 : La splendide Cara Buono de Mad Men, pourtant la « bonne » Cara du casting, apparait à peine plus longtemps qu’elle n’apparaissait dans Let Me In de Matt Reeves (c’est possible). Ils n'avaient pas mieux en réserve qu'un personnage de mère insipide ?

ScaarAlexander
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le 18 août 2015

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Scaar_Alexander

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