Critique avec beaucoup de spoiler
La Favorite est sans conteste le film que j'aimerais voir gagner les Oscars . Voilà. Je le pose ça là. Je n'ai pas vu BlacKkKlansman, mais je ne porte pas trop Spike Lee dans mon cœur, je ne déteste pas Bohemian Rhapsody contrairement à la majorité des critiques du net qui se sont passés le mot pour le détester, je verrai Green Book après demain, je n'ai pas vu A Star Is Born, Vice est aussi programmé et Black Panther...j'aime bien Black Panther mais s'il y a bien un blockbuster qui aurait mérité sa place ce serait Ready Player One ! Quant à Roma, même si j'ai aimé l'analyse de Monsieur Bobine (que je vous conseille), je suis toujours resté très extérieur au film malgré une histoire bien écrite des plans plutôt pas mal et une excellente réalisation. Et puis si j'aimerais le voir gagner, c'est juste pour que le Festival de Cannes soit vraiment honteux. Bref, La Favorite est mon film favori des Oscars de 2019 et un excellent film.
Ce film est très particulier mais est maîtrisé de bout en bout. De Yorgos Lanthimos, je ne connais que The Lobster que j'avais trouvé bon mais assez bizarre et barré dans son histoire (allez voir ce film, il est disponible sur Netflix). Là, le film est tout aussi bizarre et absurde, mais en étant plus dans le vaudeville. Cela donne un film vraiment drôle mais aussi tragique et cynique sur la vision de la royauté. En terme d'image, le film est vraiment bien monté et bien filmé. Les plans sont bien posés et il y a pas mal de plans au début en contre-plongé. Le réalisateur nous montre à quel point la cour est presque inaccessible. Pareil, l'organisation en chapitre qui donne au film un aspect très théâtral (je n'ai pas mémorisé tous les titres , mais il y en a un où il indique "j'ai rêvé de vous crevez l’œil gauche). Il y en a 7 au total où on voit vraiment l'ascension d'Abigaïl au bonne grâce de la Reine qui rend la narration vraiment particulière. Mais par dessus- tout, ce sont certains plans iconiques qui sont tous porteurs de sens
Bon on va commencer par le plan qui s'est retrouvé dans toutes les bandes annonces : Emma Stone recouverte de boue ! En un plan, on sait vraiment tout du personnage et comment elle va être traité au début du film. Pareillement, les scènes de la chasse indiquent le rapport de force entre Abigaïl et Sarah. Si vous voyez l'évolution, on voit bien qui tuera qui au figuré, ou qui croit tuer qui. Le point de rupture est dans la 3e scène, ou en un plan on voit qu'Abigail va tuer symboliquement Sarah : la position du fusil
Puis, les plans au ralenti sont aussi porteur de sens car ils ne sont là que pour montrer la décadence de la cour ou les fondus enchaînés montrant l'évolution du rapport au personnage
C'est surtout visible à la fin où la dernière scène se fond envers les lapins, qui symbolisent la perte de contrôle d'Abigaïle sur la Reine
Je n'ai rien à dire par rapport à la musique de Sam Sneade qui est correcte. Maintenant passons aux personnages.
D'une part, nous avons comme héroïne Abigaïl Masham (Emma Stone) est vraiment une femme d'un milieu modeste dont sa famille a tout perdu et dont on voit subtilement son ambition. D'abord servante le film voit à quel point elle se révèle bien plus manipulatrice que sa cousine Sarah Churchill (on y vient). Ici on sent bien la rivalité et le fait qu'elle agisse pour le prestige et qu'elle n'a que peut de considération pour le royaume et le reste (bien qu'à plusieurs moment, elle semble être proche des servantes qu'elle a côtoyé). Elle est assez proche de la vraie Abigaïle Masham, mise à part que la véritable était plus politisée. Ici, elle se sert de la politique pour se faire bien voir de la Reine et que cela sert ses intérêts égoïstes.
Autre personne très influente, Sarah Churchill (Rachel Weitz) qui a vraiment autorité sur la couronne et la gouvernance. Elle est secrètement l'amante de la Reine mais elle la domine en usant de son autorité. Bien que son mari soit peu présent dans le film, il semble être le seul avec lequel elle semble parler d'égale à égale. Sinon, elle a une influence qui contrarie les plans de Robert Harley. Recueillant sa cousine elle remarquera très vite à quelle point elle est menaçante et elles seront des rivales acharnées pour l'affection de la Reine.
La Reine Anne d'Angleterre (jouée par une habituée des rôles couronnées, Olivia Coleman, la futur Elisabeth II de la saison 3 de The Crown) est ici dépeinte comme une reine maladive,malheureuse et passablement suicidaire (et ayant perdu 17 enfants ! Le pire est que c'est vrai !). On la voit vraiment soumise à Sarah qui est presque son seul réconfort alors que cette dernière la traite assez durement, malgré un réel amour entre elles. En revanche, sa rencontre avec Abigaïl va la rendre bien plus forte et indépendante au point qu'elle prendra peu à peu en main les affaires du royaume et verra Sarah différemment. Cependant, elle aura un oeil tout aussi suspect envers Abigaïl que je spoilerai plus tard.
Le 4e personnage central est Robert Harley (Nicholas Hoult). C'est un courtisan ministre de la reine qui a lui aussi de l'ambition et qui se servira d'Abigaïl au début afin de préserver la paix (là où Sarah était bien plus dans le sens de poursuivre la guerre contre la France, oui dans le contexte on était avant la Guerre de Succession d'Espagne). C'est un intrigant qui arrivera à ses fins juste parce que cela sert aussi les intérêt d'Abigaïl.
Samuel Masham (Joe Alwyn qu'on connaît pour être le héro du dernier film d'Ang Lee et il sera dans l'autre film de cette année qui parle d'une Reine d'Angleterre), est un courtisan qui veut épouser Abigaïl malgré son rang. Ils font dans tout le film un jeu de chat et de la souris où il se ridiculise et il finit par réellement tomber amoureux d'elle, malgré le fait qu'elle n'y prête aucune attention. Et se sera pire après le mariage.
Les autres personnages sont plus secondaires mais on remarque 2 alliés de Sarah qui n'ont pas grands incidences comme son propre mari John Churchill (Mark Gattiss) et Sidney Godolphin (James Smith).
Ce film est bien écrit. Il explique bien les rapports de forces aussi bien visuellement que par les dialogues. Bien que le ton soit très humoristique avec un ton anglais bien marqué, il ne néglige pas le drame que la cour cache. Entre la Reine suicidaire au début, Abigaïl dont on se prend d'affection quand elle ne s'adapte pas à la cour, jusqu'à qu'on la voit gravir sournoisement les échelons et Sarah dont le film raconte une vraie descente aux enfers pour elle. Déjà plus haut j'ai expliqué comment la mise en scène pouvait raconter l'histoire. Cependant, il y a pas mal de scènes qui montrent bien les différences de rapport entre Sarah et Anne , puis entre Abigaïl et Anne. D'une part, les scènes entre la courtisane et la Reine sont vraiment des scènes d'un vrai couple marié, mais dont Sarah serait une personne dominatrice sans langue de bois, disant toujours les 4 vérités, mais agissant aussi en secret dans son intérêt. En réalité, c'est elle la Reine contrairement à Anne. D'autres part, les scènes entre Abigaïl et la Reine ne sont pas les scènes dignes d'un couple marié, mais des scènes d'abord d'affection où Abigaïl flatte plus la Reine plutôt que lui vouer un véritable amour.
Bien évidemment, il y a la scène où on les voit tous les 2 dans le même lit et sont surprises par Sarah, mais la scène d'amour était hors champ, presque suggérée. Et quand on voit la Reine s'en vantée auprès d'elle , on sent que c'était pour qu'elle témoigne aussi plus d'affection mais elle en est incapable. D'où son éviction au final. Plus que la révélation que Sarah était coupable de détournement de fond (dont on est pas sûr, car il se pourrait bien qu'il s'agisse d'une invention d'Abigaïl), par la scène où on voit la Reine éclairée et Sarah dans la pénombre sous la lumière d'une bougie
Le film intègre aussi le symbolisme des lapins. Plus que les "enfants" de la Reine, il symbolise l'âme de la Reine
Au départ, ils sont enfermés quand Abigaïl et la Reine se rencontrent enfin, ensuite elles jouent toutes les 2 ensemble; la Reine devient alors plus libre et commence à s'affirmer. Dans tout le film les lapins sont continuellement libre et la Reine s'intéresse de plus en plus aux affaires du royaume (au point de mal dormir, salut les petits yeux d'Olivia Coleman), tandis qu'Abigaïl se plait à cette nouvelle vie à la cour sans rivale. Et à la fin, il y en a plus mais cela commence à incommoder Abigaïl qui tente d'en tuer un avec son pied. Le lapin gémit, la Reine l'entend et fait mine de tomber du lit. Abigaïl essaye de l'aider, la Reine lui demande de la masser debout et elle s'appuie sur la tête d'Abigaïl comme pour signifier un rapport de domination, fondu enchaîner avec des lapins
Les lapins symbolisent un peu le pouvoir de la Reine et comment elle a pris dans tout le film son ascendant, sur tout, bien que visiblement sous l'influence d'Abigaïl. Mais cette dernière scène montre qu'enfin elle est devenue une Reine
A la fin, elle est privée de l'influence de Sarah dont elle est toujours éprise, mais remarque qu'Abigaïl n'est pas Sarah et qu'elle ne prendra jamais l'ascendance sur elle; la Reine la domine. Abigaïl a gagné, mais elle maintenant prisonnière de la Reine, Sarah a perdu, mais bien qu'elle sera condamnée à l'exil, elle sera avec son mari, une situation qui semble la satisfaire au final
On pourrait reprocher des scènes qui semblent vraiment s'éternisés par moment mais ça reste un film incroyable, burlesque , avec un humour cynique qui ne laisse pas indifférent
La Favorite est un film d'époque qui est vraiment atypique. Ce n'est pas le premier film burlesque ou absurde, mais il a une ambiance et un ton qui lui est propre. Mieux que The Lobster mais pas forcément plus accessible, il est un film incroyable mais surtout un excellent film sur une infime partie de la vie d'Anne d'Angleterre qui est bien plus riche. Un film que je recommande fortement et qui mérite l'Oscar (en plus il a déjà un Golden Globe pour Olivia Coleman et une récompense à la Mostra de Venise). Bon prochain film, Marie Stuart et ...quand est-ce qu'on aura la saison 3 de The Crown ?
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Créée
le 9 févr. 2019
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2 j'aime
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