La fête du feu, Chaharshanbeh Suri en persan, est une célébration iranienne de fin d’année héritée du zoroastrisme. À cette occasion, comme son nom l’indique, l’on allume des feux sur les places publiques, l’on fait sauter quelques pétards et l’on s’offre des sucreries.
(Wikipedia)


Ce jour de fête sert de cadre – et donne son titre – au troisième film d’Asghar Farhadi, sorti en 2006. Taraneh Allidousti, héroïne de son œuvre précédente, rempile pour un rôle finalement assez similaire à celui qu’elle interprétait dans « Les enfants de Belle Ville ». Son personnage, Rouhi, est une jeune fille sur le point de se marier, et donc, au comble du bonheur. Issue d’un milieu modeste, elle est employée par une agence de ménage qui l’envoie ce jour-là chez Mojdeh et Morteza, couple plus aisé dont l’appartement se situe à l’autre bout de la ville.


Accueillie aux sons des pétards et des cris des enfants qui s’amusent, Rouhi découvre un champ de bataille dans l’appartement de Morteza, qui lui donne des instructions rapides avant de partir travailler. Progressivement considérée comme un simple élément du décor, Rouhi devient malgré elle, au fil de la journée, le témoin gêné des disputes conjugales incessantes de Mojdeh et Morteza.


« La Fête du feu » peut presqu’être qualifié de film "Allenien", tant à la fois fond et forme rappellent les œuvres du réalisateur new-yorkais… comédie en moins ! Ici, le ton est résolument plus acide. Comme dans tous les films de Farhadi, il n’y a pas de personnage purement "bon" ou "mauvais". Tous les protagonistes impliqués dans l’histoire possèdent des nuances nettement plus complexes, voire torturées. Et, comme d’habitude, il convient de se méfier des apparences, qui sont toujours trompeuses.


Le grand thème du film, c’est le mariage, et la vie conjugale, découverts à travers les yeux de la jeune Rouhi, dont le grand jour approche. Sa joie et sa gaieté à l’idée de se marier, accompagnées de toutes les petites attentions qui s’y rattachent (balades à moto avec son cher et tendre, essayage de la robe, mise en beauté chez la coiffeuse…) contrastent violemment avec l’attitude de Mojdeh et Morteza, couple marié d’âge mûr. Ces deux-là ne semblent plus pouvoir se voir en peinture : l’amour et la confiance des premiers jours ont depuis longtemps laissé place à la lassitude et à la suspicion. Devenus antagonistes, ils ne cessent de se disputer, avec un crescendo dans la violence dont la principale victime est, au final, leur jeune fils.


Le film se joue presque à huis-clos, l’appartement de Mojdeh et Morteza servant de terrain de jeu aux prsonnages pour évoluer. Tout est très théâtral : l’importance prépondérante est donnée, comme toujours chez Farhadi, aux dialogues entre les personnages. Le cinéaste donne à ses protagonistes une arme supplémentaire, qu’ils ne possédaient pas dans « Les enfants de Belle Ville » : le mensonge. Dès lors, celui-ci devient à la fois moteur de l’intrigue, source de tous les problèmes, et finalement, élément de résolution. Il est toujours assez fascinant à quel point Farhadi maîtrise l’escalade dans le mensonge, qu’il orchestre en virtuose, contrôlant parfaitement l’enchaînement logique des évènements. La question de l’adultère est aussi évoquée, avec une certaine pudeur. Rappelons qu’il s’agit d’un crime encore potentiellement puni de mort en Iran !


Comme toujours chez Farhadi, les acteurs sont tous assez extraordinaires. À part Taraneh Allidousti, la plupart ne sont pas des réguliers de son cinéma, mais livrent des prestations terriblement convaincantes. En particulier, Hedieh Tehrani, qui interprète Mojdeh, est exceptionnelle dans son rôle de femme en proie à d’horribles doutes, dont l’esprit vacille aux frontières de l’hystérie. Une performance aussi captivante qu’émouvante.


Au terme d’une journée longue et ardue, la jeune Rouhi rentre chez elle meurtrie. Ses idées sur l’amour et sur la vie conjugale ont été durablement mises à l’épreuve par les scènes de ménage d’une violence extrême auxquelles elle a, bien malgré elle (ou pas), été témoin indiscret. Les choses doivent-elle toujours se terminer ainsi, en querelle perpétuelle ? Heureusement, lorsqu’elle retrouve son fiancé, qui lui sourit et la complimente sur ses tous nouveaux sourcils, un peu d'espoir revient éclairer ce panorama bien sombre.

Aramis
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le 3 avr. 2016

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