Ce film, celui tourné en 1940 par Pagnol, (pas le remake de Daniel Auteuil de 2011) est
long pour l'époque (171 minutes). Le début consiste en une lente exposition qui peut rebuter le spectateur plongé dans un univers désuet, aplati par le noir et blanc peu contrasté ainsi que par les préjugés de l'époque. Quand le drame se noue enfin, c'est-à-dire, quand le bel aviateur présenté initialement en train de pêcher l'écrevisse en marcel (pagnol?) et en slip digne de Borat s'avance en bel uniforme et disparaît presqu'aussitôt après avoir fécondé la fille du puisatier, le spectacle prend soudain une toute autre ampleur : un mélodrame provençal sur fond d'étrange défaite. Tourné juste avant, suspendu puis terminé juste après juin 1940, le film constitue un témoignage précieux car il n'inscrit pas la naissance de la révolution nationale dans une dimension politique (la collaboration n'est pas encore au cœur du débat) mais dans la culture morale : que faire d'une fille-mère ? C'est l'occasion de superbes scènes passées à la postérité dans lesquelles les acteurs - Raimu, Fernandel, Charpin - donnent ce qu'ils ont de meilleur, laissant supposer de géniales improvisations. La visite du puisatier avec ses filles chez les parents riches du Don Juan est un morceau d'anthologie. Avec le recul, dans le contexte postmitou d'aujourd'hui, on appréciera aussi, selon les goûts de chacun, la description de la séduction de la jeune Patricia qui passe en quelques heures du statut d'oie blanche à celui de consentante passionnée. Enfin, il est bienvenu de voir la version originale diffusée jusqu'en 1944 et qui insère au cœur de l'action le discours de Pétain du 17 juin 40 (" je fais don de ma personne ", etc.) plutôt que celle revue et honteusement corrigée qui remplaçait celui-ci par l'appel du lendemain du Grand Charles. Cette pilule passait mal et si elle avait existé à l'époque... Ça change tout.