Comme d'autres ici j'avais déjà beaucoup aimé le film récemment retrouvé et restauré de Reza Aslani, L'échiquier du vent (1976) et son atmosphère anxiogène, ouatée, ses éclairages si travaillés et le raffinement de sa mise en scène. La flamme verte est un film bien plus récent (2008) et pourtant il a le caractère et la texture des films intemporels des années 70, depuis le choix de la pellicule utilisée, jusqu'aux volées chromatiques qu'il déploie de son long et la narration qui enfouit conte dans le conte dans le conte pour aboutir à une structure polymorphe. C'est un enchantement de couleurs, de décors de châteaux en ruines (le palais principal où se concentre le récit vaut le coup d'œil à lui seul) et de légendes à la Mille et unes nuit (raconter des histoires tout le long du jour et de la nuit pour ressusciter son promis, au lieu de raconter pour survivre), tenu par des grands acteurs et actrices qui ne cessent de mourir et de renaître afin d'incarner tous les personnages de chaque histoire. Le film est aussi traversé par les chants sublimes d'un des (si ce n'est le plus) grand chanteur iranien (Mohammad Reza Shadjarian, décédé en 2022) au sommet de son art et sa voix magnifique qui m'a rapidement arraché des flots de larmes.

La splendeur du film est multiple; je veux dire par là qu'il y a des plans simplement hallucinant de beauté (des chevaux qui se battent devant une colline où s'enfuit une femme dont les tissus s'échappent au vent - un plan qui sort un peu brutalement, sans artifice ou musique grandiloquente pour te dire que c'est superbe, tu te prends juste ça dans la figure et tu te tais - il y a aussi des astuces visuelles très chouettes notamment à la fin où un stroboscope vient difracter le monde d'une femme qui comprend alors son erreur, petit délire visuel du réal), il y a l'évidence du montage qui peut être très nerveux quand il le faut et vraiment donner du relief aux séquences chantées ou dansées et puis il y a des plans plus sobres mais tout aussi merveilleux, magiques, dans la lignée d'un Paradjanov, plus simplement cadrés et frontaux, où les acteurs et actrices prennent la pose avec des objets. Le film est ainsi très varié dans son régime d'image mais aussi temporel. Car non seulement il faut raconter les 7 histoires (avec chacune son lots de costumes magnifiques qui renvoient à différentes époques de l'Iran) pour faire renaître le roi, mais en plus le film se paie le luxe d'avoir des flashbacks et des flashforwards par dessus tout cela et de situer son action principale dans les années 80. Il ne facilite pas vraiment la lecture du spectateur puisque les transitions sont parfois très minces voire absentes entre les trames et les lieux mais honnêtement aucun mal à suivre pour peu que l'on accroche un minimum.

Quel bonheur de voir autant de poésie, de spiritualité (le zoroastrisme étant référencé maintes fois) et de délicatesse, le tout habilement intégré à un récit plus vaste de l'Iran contemporain. Si vous voulez voir un film qui ne ménage pas son spectateur (volontiers cryptique par instants), mais qui va plutôt l'emmener rêver et apprécier le caractère magique de certains chiffres (Aleph qui donne lieu à la 3ème histoire), de tristesse infinie (beaucoup de récits finissent par des lapidations ou des ruines personnelles) ou simplement d'enchantement plastique, ruez vous sur ce chef d'œuvre.

Narval
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le 30 mars 2024

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