C'est Hollywood à son meilleur, son essence même, sa raison d'exister. Et pourtant c'est un film indépendant ! Preuve qu'Hollywood n'est pas qu'une industrie, mais également un art, avec ses propres formes narratives et esthétiques que Damien Chazelle a parfaitement su retranscrire.


Rarement ces dernières années, un film a su saisir ce qui fait le sel du cinéma populaire (Mad Max Fury Road ?), cette capacité, par la synthèse de tous les arts, à tendre vers l'universel. On a souvent donné à Hollywood le surnom "d'usine à rêves", jusqu'à en faire une expression toute faite, un lieu commun. La La Land vient rappeler le sens profond de cette formule. Car Hollywood est littéralement une usine à rêves ! C'est une industrie qui vend du rêve sur pellicule. Par "rêve" j'entends : l'évasion du réel, la fuite vers le monde des idées, bref l'idéalisme qui semble faire la singularité de l'humanité et nous pousse inexorablement à vouloir donner un sens nos vies. L'expression La La Land n'exprime rien d'autre qu'une "situation déconnectée de la réalité".
Le cinéma hollywoodien, par essence, est immersif et viscéral, plus grand que la vie, plus intense aussi. Il fait appelle à nos émotions, à nos pulsions les plus instinctives dans le but de nous offrir l'illusion ultime, un miroir de nos vies mais un miroir déformant, un idéal.


C'est une idéologie dangereuse, bourgeoise disait les cinéastes soviétiques, mais le cinéma est aussi un art, et le cinéma hollywoodien c'est l'art du rêve éveillé, c'est la volonté d'aspirer le spectateur dans l'écran par une mise en scène du vertige. La comédie musicale a toujours été en cela le genre le plus essentiellement hollywoodien. Le théâtre, la musique, l'architecture, la mode sont refondus dans le moule cinématographique et l'alimentent. Ce qui en ressort est une forme d'art total, capable de créer l'illusion tout en montrant ouvertement sa nature factice. Damien Chazelle l'a parfaitement saisi. Tout est faux à Los Angeles, tout est faux à Hollywood, tout est faux dans La La Land, et pourtant on y croit. Tout simplement parce qu'on en a besoin. N'est-ce pas la thématique du film ? Croire en ses rêves malgré tout ? Croire comme seul moyen d'exister ? Quoi de plus puissant que le cinéma pour atteindre cet état de transe, cette suspension de la crédulité qui fait qu'on ne sent plus ses jambes quand les lumières de la salle se rallument.


Quand on est sensible à ce que le cinéma peut transmettre, on comprend qu'il s'y joue quelque chose de presque mystique, le genre de choses qui fait que certains croient en un dieu. Le cinéma hollywoodien exige un acte de foi. C'est pourquoi il faut être exigeant avec lui et qu'il faut tenter de comprendre comment celui ci fonctionne, comment il active chez nous des émotions puissantes. Mais il faut aussi savoir s'y abandonner, se laisser happer par le rythme des images, d'un mouvement de caméra, d'un fondu enchaîné et laisser jaillir de vous ce qui veut sortir. Le cinéma est une catharsis, une expérience limite et l'objectif de l'art hollywoodien c'est l'immersion sensorielle, émotionnelle puis intellectuel du spectateur dans l'univers constitué par le film, la diégèse.


On pourrait analyser le film en détails, mais il suffit de l'avoir vu pour comprendre que tout ce qui fait l'art Hollywoodien s'y trouve, comme une synthèse parfaite : le mouvement comme principe esthétique fondateur, le basculement dans l'onirisme, la condition de l'artiste, de l'idéaliste bref du rêveur, le modèle shakesperien qui fait du sentiment amoureux rien de moins que le sens véritable de la vie. Mais La La Land c'est surtout une réflexion sur ce qu'est Hollywood, tout comme le sont nombres grands classiques hollywoodiens comme "Chantons sous la pluie", "Les ensorcelés", Tous en scène" ou encore "Sunset Boulevard". Hollywood n'est jamais aussi grand que lorsqu'il parle de lui même, que lorsqu'il a conscience de ce qu'il est. Une usine à rêves ? Plus encore, un rêve lui même. Ceux qui sont déjà allés à Los Angeles comprendront. C'est une ville dont l'existence dépends du rêve, qui ne s'est créée que par et à travers le monde du show business. Dévorée par lui, cette ville est devenue elle même une illusion et le film de Chazelle en fait le terrain de jeu de son histoire car elle en est la source. Hollywood s'auto-alimente, se nourrie de sa propre illusion.


Les grands artistes hollywoodiens ont toujours pris soins de glisser dans leurs films une sorte de message subliminale qui nous rappellent par instant que toutes ces images ne sont que des mirages. Salutaire rappel. Reste que les émotions que nous ressentons devant un film sont bien réelles. Le cinéma serait il un art trop puissant ? Et la machine hollywoodienne une arme si dangereuse qu'il conviendrait de livrer l'antidote avec le produit comme pour rappeler ce sentiment mêlé d'admiration et de dégoût qui lie les artistes à leur art ? Et si ce paradoxe n'était pas l'origine de toute grande oeuvre hollywoodienne ? Beaucoup de questions qui font d'Hollywood un terreau de réflexions passionnant.


A l'heure où Hollywood bat sérieusement de l'aile, Lala Land production indépendante certes mais néanmoins hollywoodienne (Summit Entertainment a ses bureaux à Sante Monica) ré-active, modernise et donc pérennise l'art hollywoodien sans le dénaturer. Au contraire, il lui redonne ses couleurs, le rend aimable à nouveau et lui montre le chemin à prendre en lui montrant que ce qui fait son identité profonde c'est sa capacité à sublimer le réel, pour en tirer des émotions universelles et pourquoi pas à nous faire croire, allez ne serait-ce qu'instant, à l'éternité.

Clément_El_Vass
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le 2 mars 2017

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