Avec "Ken Ki", Misumi poursuit sa trilogie dite "du sabre" avec un chanbara très étonnant, moins sombre que le premier opus, et qui se permet même quelques digressions avec le fantastique ou le merveilleux. Ça reste un chanbara bien calibré et bien solide, avec ce qu'il faut de combat au sabre, de membres sectionnés et d'hectolitre de sang déversé...Mais la petite touche de fantastique lui confère un goût assez particulier, pas désagréable pour dessous, même si cela m'a moyennement convaincu. Pour tout dire, même si "Ken Ki" se suit avec plaisir, ça reste globalement un cran en dessous des deux autres opus...

Pourtant, comme pour "Kiru", Misumi base son histoire sur un ouvrage de Genzaburō Shibata et reprend des thématiques déjà entraperçues dans le premier film. Avec le héros, Hanpei, on retrouve ainsi la figure du bâtard maudit. Mais contrairement à "Kiru", le personnage n'est pas maudit par son sang mais le devient en empruntant la voie du bushido ! C'est le sabre qui va pervertir son âme !

Pour bien montrer que son personnage est mis au banc de la société dès sa naissance, Misumi laisse planer le doute sur ses origines : peut-être a-t-il du sang de chien dans les veines ! Dis comme cela, l'histoire paraît abracadabrantesque ! Mais Misumi nous le vend très bien en laissant planer le doute sur les origines et en montrant l'influence des superstitions au sein de la population. Ainsi, cette différence originelle va conditionner son attitude future ainsi que son destin... Hanpei n'aura qu'un seul souhait : s'insérer dans la société et ne plus être considéré comme "l'enfant de chien" !

Avec ce point de départ fantaisiste, Misumi place son histoire dans l'univers du conte, il va nous montrer les différents moyens entrepris par Hanpei pour se faire une place dans la société, avant de laisser le soin au spectateur d'en deviner la morale !

Son père adoptif, avant de pousser son dernier soupire, conjure à Hanpei de réaliser de grandes choses. Comme tout héros de conte, notre petit bonhomme va être convaincu qu'il a une tâche ou une destinée à accomplir ! Mais, on est en temps de paix, il n'y a pas de bataille à gagner ou de princesse à sauver ! Alors Hanpei va essayer de faire le bien, de bonne et de belles choses ! Il se lance dans le jardinage, une activité pure et désintéressée, et fait des merveilles en la matière. Mais comme vivre au milieu des fleurs n'est pas le meilleur moyen pour gravir l'échelle sociale, il va se tourner vers ce qui fait la force des Hommes : le sabre !

Misumi nous montre bien l'incroyable pouvoir de fascination qu'exerce le sabre sur Hanpei. Il le filme béat d'admiration devant les prouesses de son mentor ou en faisant scintiller l'éclat de la lame sur son oeil ! On retrouve toujours cette touche de fantastique : le sabre envoûte notre jardinier de la même façon que l'Anneau envoûte Gollum chez Tolkien. Mais derrière cela, on ne peut qu'entrapercevoir le regard critique de Misumi sur la tradition du bushido ! En effet, la voie du sabre ne semble pas mener l'homme sur le chemin de la sagesse mais plutôt sur celui de la destruction, du meurtre ou du chaos ! Le mentor de Hanpei, lui délivre un message bien pessimiste : il n'y a aucune philosophie qui vaille avec le sabre, il suffit juste de "dégainer et de tuer" ! Ce sont bien ces nobles traditions qui font perdre à notre jardinier sa candeur, le détourne de la beauté et des p'tites fleurs, pour en faire un tueur impitoyable.

Visuellement, le film est remarquable car on oscille toujours entre un univers " bon " (le jardin, les scènes avec une lumière claire et douce...) et un autre s'approchant du "mal" (les scènes de combat, l'obscurité, la forêt touffue...). Le rythme rapide, la qualité de la mise en scène (les scènes guerrières sont d'ailleurs très efficaces !) ainsi que celle de l'interprétation (Raizo Ichikawa, à nouveau irréprochable !) rendent le métrage passionnant et agréable à suivre. Heureusement d'ailleurs car il y a toujours quelques éléments qui viennent un peu plomber le récit. Personnellement, j'ai toujours du mal avec ce personnage de guerrier invincible qui trucide à lui tout seul toute une horde d'adversaires. Un coup de sabre, dix bonshommes à terre...ouais, bof ! Et puis surtout, il y a des passages qui frisent le grotesque ! Comme faire courir ce bon Hanpei plus vite qu'un lévrier, ridiculisant à la course les meilleurs chevaux et gagnant le prix d'Amérique dans la foulée... c'est un peu too much, non ? Sans parler de ces quelques effets romanesques que Misumi utilise un peu facilement (la quête confiée juste avant que le personnage ne décède, etc.).

Un peu moins abouti que les deux autres opus de la trilogie, "Ken Ki" surprend par sa coloration fantastique et interpelle par son propos assez dur voire pessimiste. C'est cet étonnant mélange de légèreté et d'amertume qui donne toute sa saveur et son originalité au film. Un chanbara assez atypique qui vient compléter à merveille l'efficace "Kiru".



Créée

le 1 mai 2023

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Procol Harum

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