Trois ans après Quand passent les cigognes, chef-d'œuvre absolu du cinéma russe, Mikhail Kalatozov signe un nouveau film tout aussi puissant, mais totalement différent. On peut voir la chose comme une sorte de croisement entre Stalker, pour l'errance prolongée dans une forêt, et surtout Le Salaire de la peur, pour les situations extrêmes auxquelles sont confrontés les quatre pionniers dans la seconde partie du film.
L'homme est donc face à la nature, d'abord belle et paisible, puis qui soudain se déchaîne sans crier gare. Le rêve se transforme alors en cauchemar. L'optimisme laisse la place au pessimisme. Au fur et à mesure que le récit avance, que la nature devient de plus en plus hostile et l'homme démuni, on assiste à chaque stade à une irrépressible montée en puissance. Au début, on se dit que cela vaut 7, puis plus tard un bon 8, et finalement qu'un 9 ne serait pas de trop, surtout face aux dernières scènes particulièrement émouvantes.
Ce survival (ce n'était pas courant à l'époque, soulignons-le) est sublimé par une mise en scène et des effets particulièrement inspirées qui rappellent énormément ceux de Quand passent les cigognes. De plus, certains moments crépusculaires, dans des décors de désolation totale, mettent en avant une atmosphère apocalyptique absolument saisissante (on a rarement vu mieux ailleurs). N'oublions pas non plus la présence de la toujours aussi talentueuse et lumineuse Tatiana Samoilova, en héroïne touchante à la fois forte et fragile.
La Lettre inachevée est une odyssée du courage et de la souffrance, une lutte désespérée contre les forces de la nature qui marque durablement l'esprit de son spectateur. Un grand film, prenant et visuellement somptueux, qui mérite largement une place au côté de Quand passent les cigognes.