Et si Eisenstein était le Tarantino des années 20 ? Drôle d'objet en tout cas que La ligne Générale, film de propagande totalement déjanté, traversée par une folie souterraine prête à exploser à chaque instant, brûlot iconoclaste qui prend le spectateur à la gorge pour le balader dans tous les sens, le secouer, le réveiller, l'atterrer, le brutaliser : de l'agit prop au pied de la lettre.


Tout commence comme un documentaire sur la paysannerie russe, miséreuse, pouilleuse, ramassis de traine-savate délaissés de tous, montrés sans fard (Staline et les années 30 mettront de l'ordre dans tout ça, bientôt les paysans au cinéma seront en pleine santé et toujours une chanson prête à jaillir pour accompagner le moissonnage), jusqu'à ce que Marfa, du fond du désespoir, trouve la force de se révolter et de pousser le village à créer un Kholkoze.
Et là le film explose : le lait jaillit comme dans un porno hardcore, les vaches s'offrent pantelantes aux taureaux en rut, les dindons ont des érections de crêtes, les moutons bavent, les bureaucrates semblent sortis d'un De Palma sous acide, les méchants sont gras comme des cochons, et les tracteurs fouaillent la terre comme une vierge qui en redemande. La vie est la plus forte, ça sent le stupre à plein nez, Sergueï se lâche !


Loin du film à thèse sage et appliqué, La Ligne générale est gargantuesque et absurde, bouillonnante et désespérée. Comme un paysan russe qui danse, sa bouteille de vodka déjà bien entamée, sur le bord du précipice. L'apocalypse joyeuse !

Chaiev
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Muets d'admiration et Résumons-nous : Sergueï Eisenstein

Créée

le 19 déc. 2010

Critique lue 1.9K fois

36 j'aime

19 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

36
19

D'autres avis sur La Ligne générale

La Ligne générale
Docteur_Jivago
8

Eisenstein : L'artiste face à la propagande

Pour son quatrième film, Sergei Eisenstein braque sa caméra sur un pauvre village russe où les paysans sont exploités comme des bêtes par les riches koulaks (les propriétaires de grandes fermes). Peu...

le 4 avr. 2015

29 j'aime

6

La Ligne générale
Morrinson
8

De l'importance du LSD dans le cinéma soviétique

Le cinéma de Sergueï Eisenstein ne m'aura jamais paru autant proche de celui de Mikhaïl Kalatozov que dans La Ligne générale. Dans la logique de l'œuvre de propagande, dans le registre de...

le 16 janv. 2018

10 j'aime

La Ligne générale
Plume231
7

Un Eisenstein mineur mais un Eisenstein qui ne peut pas s'empêcher de montrer des fois son génie !!!

Ah les bienfaits de la collectivisation, de l’industrialisation, des kolkhozes... C'est pas l'Île aux enfants mais on n'en est pas loin. L'art de la propagande à la soviétique, mais l'art de la...

le 14 mai 2014

4 j'aime

1

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

281 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

268 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74