Film coup de poing, chef d'œuvre de Steven Spielberg, film – personnel – de Spielberg, etc etc … Je ne ferai pas exception au concert – quasi – unanime de louanges à tous les niveaux.

Mais il faut bien resituer ce film et pour cela, il peut être utile de lire le livre "Schindlers Ark" de Thomas Keneally paru en 1982. Ce roman fut le résultat d'une rencontre fortuite en 1980 de Keneally dans le magasin de Leopold Pfefferberg à Beverly Hills. Cet homme, un ancien "Schindlerjude", avait, depuis plusieurs années, à cœur de faire connaître l'histoire d'Oskar Schindler.

Ce livre ne se veut pas être une histoire de la Shoah mais "simplement" l'histoire très documentée de la vie d'un industriel encarté au parti nazi qui profita des années de guerre pour faire prospérer ses affaires. Il sauva plus d'un millier de juifs polonais en les faisant travailler dans ses usines situées dans des camps de concentration. Spielberg s'inspira du roman de Kennealy et simplifia bien des détails tout en conservant l'essentiel de l'histoire.

Spielberg va s'attacher tout au long du film à dissocier l'idéologie nazie du nazi lui-même. Dans certains cas, il y a un opportunisme à adhérer à l'idéologie (Schindler mais aussi tous ceux qui acceptent les pots de vins), dans d'autres cas, c'est l'idéologie qui absorbe l'individu pour en faire de véritables monstres quasi mécaniques (Amon Goeth).

Quand on prend un peu de recul, on voit que le portrait de Schindler brossé par Spielberg (conformément au livre) est très ambigu et loin d'être flatteur. Il profite largement du système nazi et fait fortune car la main d'œuvre juive est particulièrement attractive en termes de coûts en ces temps-là… De plus, c'est un jouisseur, doté d'énormes flair et entregent qui lui permettent de manipuler ses interlocuteurs afin de les amener à ses propres vues. Son comptable (Itzhak Stern) que Schindler devine avisé, va vite comprendre qu'en jouant finement la carte de Schindler, il peut mettre à l'abri beaucoup de monde. Entre deux maux, on choisit d'abord celui qui préserve la vie.

À noter que le livre va beaucoup plus loin car Schindler, une fois "l'euphorie" du temps de guerre passé, échoue dans toutes ses entreprises. Ce sont ses Schindlerjuden disséminés dans le monde entier qui finissent par l'aider et le soutenir jusqu'à la fin de sa vie …

Spielberg transcende cette histoire de façon formidable. D'abord ce noir et blanc qui donne une touche de documentaire d'époque et donc d'authenticité. Puis un rythme nerveux avec une caméra très mobile qui part dans tous les sens pour filmer les mouvements désordonnés de foule prise par la panique ou au contraire très champ/contre-champ.

Il joue constamment sur le contraste entre les personnages, le conquérant face à l'esclave, la joyeuse fête face à la mort. Et ça marche car le cœur (ou l'estomac, je ne sais pas) du spectateur se serre à l'approche de certaines scènes où la peur panique s'inscrit sur les visages tandis que la Mort (Amon Goeth, par exemple) rôde à proximité. En parfait metteur en scène, Spielberg suggère plus qu'il ne montre. Il joue avec l'attente d'une nouvelle monstruosité qui, par chance, ce jour-là, ne se produira pas ou, par malheur, se produira. Et c'est efficace.

La fameuse séquence de la douche à Auschwitz (décrite en détail dans le livre) n'est ici qu'un symbole de cette incertitude permanente et insupportable de l'avenir immédiat de l'individu pris dans les griffes du pouvoir nazi.

Je ne compte plus les scènes bouleversantes dont la plus belle est peut-être, le kaddish récité par le rabbin après l'annonce de la fin de la guerre. Le retour de la couleur à la fin du film ainsi que le lent passage devant la tombe de Schindler des vrais survivants sont chargés de tellement de symboles et font tellement de bien …

D'un point de vue musical, le film baigne dans une musique composée par John Williams avec le violoniste Itzhak Perlman. La musique s'inspire régulièrement du Klezmer …

Pour finir, l'interprétation des personnages est très réussie. Liam Neeson, volontairement choisi parce que pas très connu, voit sa carrière décoller à la suite de ce film. Ben Kingsley, qu'on ne présente plus, est bouleversant dans le rôle du comptable quand il brandit la liste : Cette liste c'est le bien absolu, cette liste c'est la vie. Tout autour de ces marges, il y a le gouffre.

C'est un des premiers rôles au cinéma de Ralph Fiennes dans le personnage psychopathe ou sadique de l'officier SS Amon Goeth. Diablement et épouvantablement convaincant !

En bref, film qui me fait toujours froid dans le dos à chaque visionnage.


JeanG55
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le 22 août 2023

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