Qui n'a jamais affiché un brin de perplexité devant le son de sa voix immortalisée sur un quelconque enregistrement. Les interactions avec autrui sonnent délibérément faux comme des échos caverneux dépouillés d'un timbre personnel. Ces flots de mots échangés peuvent devenir insupportables lorsqu'ils tentent de s'accommoder à des bruits urbains environnants. La captation numérique (ou sur bande magnétique) s'apparente à une tranche de vie quotidienne malmenée par des actes d'une extrême banalité. La réverbération sonore et la texture électronique renvoient non pas à de la laideur mais à une forme de triste indifférence ou de froideur distante. La lumière diaphane et naturelle souvent étirée d'une pièce à une autre esquisse une authenticité exangue de passion. L'essai vidéo atteste des formes glacées qui nous entourent par opposition au médium Cinéma s'inspirant de la vie sous la forme d'un travestissement optique. Ainsi, la technique cinématographique nous impose un délicieux mensonge. En ce sens, le mouvement rendu à 24 images/secondes, le mixage sonore, la musique extra diegetique emplissent l'espace de chaleur et d'un sens commun donné aux acteurs et aux choses. L'essai vidéo intraséquement inerte conserve néanmoins en son sein les théories relancées sur la représentation de la dureté des formes de notre environnement via l'oeil moderne. Bien que* La Nouvelle Vague* se soit éteinte dès la fin des années 60, l'esprit experimental demeure. Les auteurs du mouvement nés sous la plume de** Françoise Giroud** dont les dogmes se fondent sur une transgression des règles cinématographiques - son direct, décors naturels, spontanéité de jeu - ont anticipé cette sincérité sous pixels. En partie seulement. L'ascétisme formelle de la Maman et la Putain et son aspiration de ne jamais embellir son enveloppe argentique participe à l'inconfort de visionnage. Il en résulte un questionnement voire un rejet du spectateur néophyte plus à même de prendre naturellement le poul d'un Cinéma moulé dans un onctueux classicisme. Car la somme des choix de réalisation issue de la note d'intention peut paraître rédhibitoire à commencer par ses valeurs de plan cintrées et son noir et blanc écorché. Mais plus encore l'absence de musicalité des dialogues d'un Cinéma coutumier des standards de jeu imposés par les silences et la maîtrise des émotions. Si le film de Jean Eustache n'a pas l'entière liberté sur le plan artistique de s'émanciper des lois cinématographiques - il en conserve le montage, la narration progressive, le point de vue, la mise en scène - le vecteur d'intégration du spectateur se focalise sur Jean-Pierre Léaud tout en logorrhées et démons intérieurs. Par son entremise, La Maman et la Putain s'éclaire à la bougie des mots, son unique source de chaleur. Des tirades à la tonalité singulière déclamées par - Alexandre - homme enfant et assimilées par certains à la lecture d'un texte apocryphe. La palette de jeu de Léaud plane, presque creuse n'est pas dépourvue d'une incarnation expérimentale toute personnelle. Elle se détache des méthodes/usages du comédien aguerri. Il n'en reste qu'une sécheresse de ton et une absence de coeur noyées par les frustrations d'un personnage en perte de repères. En opposition,* Veronika* - Francoise Lebrun **- dépourvue de jugement et de condescendance goûte le sexe dans le registre du jeu épuré dévoilant un fond de sensibilité. Fausse putain mais vraie femme. S'il ne fallait noter qu'un écart, c'est l'assise de **Bernadette Laffont - Marie - proie de la libération sexuelle tour à tour dans l'acceptation et le rejet du triolisme. Une partition aux forts accents professionnels dont la maitrise de la réthorique évoque la classe sociale et l'expérience de la vie.
Situé en queue de comète de La Nouvelle Vague, La Maman et la putain se teinte des profondes mutations sociales de la France d'après 68 mais plus encore entrevoit le potentiel du support video dans la captation sans fard de notre environnement. Conjointement le modernisme sociétal et celui des outils encore à leurs balbutiements gomment le filtre dit du Cinéma dans un soucis de positionnement culturel et politique. C'est clairement le dessein du métrage d'aller vers une convertion de la pellicule au profit de la video. Il y a ce concept qui ne s'envisage pas comme celui d'une taylorisation cinématographique ordinaire mais comme un essai expérimental rigoriste loin des canons glamours de la fiction. L'oeuvre d'Eustache adopte une posture qui l'érige en paragon ultra moderne de son époque. Celui qui illustrerait la nouvelle jeunesse par sa spontanéité de jeu, l'immédiateté de ses actions, ses decors denses ainsi que sa cérébralité. Ainsi La Maman et la Putain tourné en 16 mm mime 20 ans auparavant l'apparente rugosité de la video VHS/Hi8 et ses techniques perfectibles de prise de son non uniformisées. Et c'est bien au travers de ce format, dernière etape avant la révolution numérique, que l'héritage d'Eustache laisse l'empreinte spectrale de son passage à toutes les futures générations d'étudiants en Cinéma désireux de filmer leur quotidien.
N'y avait-il pas dans l'élaboration du projet, ce souhait de rendre l'objet Cinéma accessible au peuple ? Il aurait été intéressant de sonder les auteurs de La Nouvelle Vague qui ont eu de cesse d'expérimenter Le Septième Art mais aussi de le désacraliser. La Maman et la Putain peut-être considéré comme le stade terminal d'une évolution artistique amorcée par À bout de souffle pour s'achever sur Numéro deux. L'essai de l'auteur du Mépris parachève les multiples tentatives de se connecter à l'ère de la vidéo avec le souhait de changer les codes et les règles du Septième Art. Le Mouvement sixties entreprit par les ténors des Cahiers du Cinéma ne s'est éteint que sous la plume des journalistes, les expérimentations, quant à elles, survivent à l'effet de mode. Le Cinéma plus fort que les mots ?