Romy + Harvey Keitel + Bertrand Tavernier = "La Mort en direct" : expérience subjuguante, à vie...

Après « Le salaire de la peur » et « Série noire », voici qu'arrive ma critique de « La mort en direct », le troisième film de mon Cycle Cannes. Mon coup de cœur de l’année, assurément !!

Enregistré sur Arte il y a déjà quatre ans, voici donc mon impression.



J'espère juste, au passage, que SensCritique ne mettra ni de pub ni ne changera mes paragraphes, car bien entendu, il ne s'agit pas de n'importe quel film, car si pub il y a, c'est que SensCritique n'est pas conçu pour des critiqueurs comme moi qui prennent la peine tout d'abord de s'incruster dans un univers, et ensuite de le retranscrire avec émotion et sincérité.

D'autre part, il s'agit de « La Mort en direct » qui tend à une critique de la société actuelle qui se veut une culture de masse et non une multiculturalité.

En aucun cas je ne juge Senscritique, je pose la simple question que des films d'auteurs d'avant 2022 peuvent renvoyer la balle aux actuels programmeurs de Senscritique.

Et encore une fois, sans dénigrer SensCritique puisque ce site m'a permis toute ma liberté de critiqueur depuis mon limogeage d'un autre site (que je ne citerai pas).

Parenthèse terminée.



Donc, pour revenir sur « La Mort en direct », il s'agit d'un film doté d’un pouvoir étrange, d’un pouvoir de fascination, à la limite du fantastique. Et pourtant, il s’agit d’une histoire bien réelle.

Un pouvoir subjuguant en ressort grâce à la mise en scène de Bertrand Tavernier.


Synopsis : un homme qui s'est fait implanté une caméra dans la tête filme tout ce qu'il regarde. Une femme, choisie par une émission de télé-réalité, décide de fuir pour mourir loin des médias. Mais elle ignore qu'elle va être aidée par l'homme-caméra.


D'un scénario certes signé par le réalisateur lui-même qui a réussi à s'entourer d'un spécialiste reconnu sur l'écriture des films politiques -David Rayfiel (on lui doit « Le cavalier électrique » et « La firme » notamment, tous les deux de Sydney Pollack)-, « La mort en direct » est porté par un duel d’acteurs inédit au sommet de leur art : Romy Schneider/Harvey Keitel.

Ou quand la muse de Claude Sautet (« Les choses de la vie », « César et Rosalie », « Une histoire simple ») rencontre l'ami scorsesien (« Mean streets », « Taxi driver », « La dernière tentation du Christ »). Dingue !

Romy se fait divine, sensuelle, électrique. Un rôle à bras-le-corps et une présence tragique qui correspond à la fin de vie qu’on lui connaît : elle est morte seulement deux ans après la sortie du film.

Keitel, lui, se fait le double du cinéaste qui se prend au jeu de filmer lui-même le film qu’il voudrait tourner. Ainsi, le futur acteur de « La leçon de piano » se prend ici pour le réalisateur (en l’occurrence, Bertrand Tavernier) alors qu’il est l’objet de l’expérience qu’il tente lui-même de commenter : Keitel tient ici un rôle de composition, crève littéralement l’écran, tout comme son double face caméra cachée, la bellissima Romy qui se laisse incruster dans ce jeu de rôle sans s’en rendre compte.

Deux performances hors du commun, crues au possible, explosives. Le septième ciel est à nos pieds... .


Avec aussi le regretté Harry Dean Stanton (« Pat Garrett et Billy le Kid », « Alien », « Paris, Texas »...) éclatant de vérité en patron de chaîne de télé intransigeant et digressif.

Pour rester au niveau du casting, on retrouve un Max von Sydow -habitué bergamnien (« Les fraises sauvages », « La source »...), le suédois a prêté son physique pour Friedkin, Pollack, Francesco Rosi, Lynch, Spielberg, et dernièrement Scorsese- jouant l'ancien amant que Romy retrouve à la fin. Il est doux, calme, pensif et doté de ce caractère sec et intransigeant. Visage que l'on ne perd pas de vue puisqu'une fois le film terminé, c'est son aura charnelle que l'on retient.

Avec également Thérèse Liotard (la Tante Rose d'Yves Robert est aussi connu pour avoir joué dans « L'une chante, l'autre pas » d'Agnès Varda) dans un petit rôle, et Robbie Coltrane qui fait ici ses premiers pas devant la caméra ! On le connaît davantage aujourd'hui pour ses rôles face à Pierce Brosnan ou Daniel Radcliffe.


Pour revenir sur le rôle que tient Harvey Keitel, c'est un robot à expérience filmique tandis que Romy, c'est la transgression de son intimité (et de son intégrité) par la prise de médicaments à son insu pour que Keitel puisse filmer la mort, en spectacle, incurable de la lady divine.

Ce n’est pas le jeu du chat et de la souris, c’est une expérience intempestive qui ne connaît aucune limite jusqu’à un point de rupture …et de non-retour : par cette Symphonie n°2 de Mahler (que l'on croît reconnaître car il s'agit bien d'une littérature musicale du compositeur lui-même !) est là pour souligner le final tout comme la musique abrasante, incandescente et mirobolante du compositeur Antoine Duhamel (collaborateur tavernierien par excellence -il reçu l'Ours d'Argent pour la meilleure musique grâce à « Laissez-passer »-, Duhamel a signé les bandes sonores pour Truffaut, Godard, Patrice Leconte...). Penser qu'il nous transmet autant sa promiscuité avec nous et se dire qu'il partage autant un moment convivial et affreux à la fois, il nous invite à ce concerto en mode privé afin de nous envoûter corps et âme dans ce final maîtrisé de part en part par le metteur en scène du stupéfiant « L,627 ».


Le tout, parachevé par la mise en scène envoûtante et entêtante de Bertrand Tavernier, camarade de lycée d'un certain Volker Schlöndorff, qui nous invite à prendre part à ce jeu du chat et de la souris qu’il définit lui-même comme un jeu d’ombres et de lumières.

Un jeu d’ombres par la caméra caché que porte son double à l’écran Harvey Keitel investi à fond.

Un jeu de lumières par ces landes écossaises dont les magnifiques paysages sont captés en des plans larges qui donnent un aspect fantomatique à l’histoire dramatique que vit Romy (merci au chef opérateur qui n’est autre que Pierre-William Glenn, collaborateur fidèle de Bertrand Tavernier qui s'est également illustré chez Costa Gavras, Truffaut, Alain Corneau, Pialat, Lelouch...), la mort dans l'âme.


Bien avant la version américaine de Peter Weir « The Truman show » avec un Jim Carrey en drôle de clown trublion, le césarisé de la meilleure réalisation et du meilleur scénario pour « Que la fête commence » et également de la meilleure réalisation pour « Capitaine Conan » signe et soigne un chef d’œuvre incandescent sur les limites et les dangers du voyeurisme, bien avant l’apparition d’internet et des réseaux sociaux.

L'Ours d'Argent pour son premier long-métrage « L'horloger de Saint Paul » et d'Or pour « L'appât », en livrant cette superproduction internationale tabou et satirique, alerte et anticipe, en 1980 (!), les jeux de télé-réalité d’aujourd’hui.

Le metteur en scène du sociétal « Le juge et l'assassin » et du colonial « Coup de torchon », au final, parjure la société consumériste d’internet des années post-2000, à savoir l’isolement de soi et le don de soi sur le voyeurisme obscène d’internet.

« La mort en direct », c’est donc un film d’anticipation sincère et authentique aux allures de tragédie shakespearienne doté d’un dilemme entre le bien (pour tous) et le mal.

Il s'agit donc d'une toile de maître car c'est filmé de façon bien réelle et s'est doté d’un pouvoir hypnotique et d’envoûtement général.


Pour conclure, « La Mort en direct »(1980), expérience cinéphilique inévitable, restera ce chef d’œuvre moderne contemporain du film d’anticipation fabriqué de toute pièce par l'inclassable cinéaste Bertrand Tavernier.


Accord parental souhaitable.


Spectateurs, seriez vous prêt à mourir pour Romy ?

brunodinah
8
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le 5 juil. 2022

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brunodinah

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