La Muraille est un film documentaire de la réalisatrice Callisto Mc Nulty, son second après Delphine et Carole, insoumuses, consacré à sa grand-mère féministe.
Elle réalise ses prises de vues dans le sud de l'Espagne, au cœur du sanatorium “Les Fontilles” fondé en 1905. Là-bas, un immense mur se dresse afin de séparer les malades atteints de la lèpre des personnes en bonne santé. Afin de séparer deux mondes. Les souffrants sont isolés, cachés, mis au ban de la société ; nombre d’entre eux sont même étrangers à l'amour ou à l'amitié en raison de leur maladie.
Si l’on pense aisément, dans le cadre d’un film traitant de l’inclusivité, à évoquer des thèmes tels que l’inclusion de minorités ethniques, celle des femmes, ou encore de la communauté LGBTQ, il est plus rare de voir ce sujet traité du point de vue des malades, faisant de ce documentaire un objet unique.
En découvrant les images du sanatorium, il est difficile de ne pas penser par instants à une prison, bien sur avec la présence de cette imposante muraille, mais la comparaison ne s’arrête pas là. Qu’il s’agisse des bris de verre placés au dessus des murs pour empêcher quiconque de les passer sans se blesser, de la séparation imposée entre les hommes et les femmes qui doivent parfois jouer de ruse pour se voir en cachette, ou encore la présence de ces gardes qui les surveillent du matin au soir pour prévenir toute évasion. Ce sont autant de mesures liberticides qui interpellent.
On observe même une forme de ségrégation, mise en place pour des raisons sanitaires, mais qui renforce le sentiment d’exclusion des malades. “Tout est en double” explique-t-on. D’un côté les biens réservés aux malades, de l’autre, ceux pour les bien-portants.
« À 14 ans, un mur s’est dressé devant moi »
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Le film est ponctué d'apparitions fantomatiques. Ce sanatorium banni du reste du monde et de la réalité, dont les gens ont peur de s'approcher, ses résidents invisibilisés aux yeux du monde, les superstitions qui les entourent, font des Fontilles un lieu hanté. Cet endroit immense, aujourd'hui presque désert alors qu'il était autrefois peuplé de malades, a l'allure d'une ville fantôme. De nombreux plans sur des pièces vides et des rues désertes, ou même de longues séquences silencieuses montrant des résidents seuls, accentuent l’étouffante sensation de solitude qui règne en ces lieux, et qui affecte les malades toute leur vie durant.
Maria, une résidente du sanatorium, évoque avec émotion son mari, qui la touchait et l'embrassait par amour malgré la maladie et la crainte qu’elle inspire, elle parle de l'image négative qu'elle et les autres malades véhiculent, des croyances autour de la lèpre que les gens pensent contagieuse. Ils sont stigmatisés à tort. Pire encore, le fait que la maladie ne soit finalement pas contagieuse, mais au contraire héréditaire, marque d’un stigmate toute la famille du malade, dont les membres subissent, eux aussi, la discrimination.
Avec consternation, une employée des Fontilles raconte : “Dans l’ancien testament, les personnes atteintes de la lèpre étaient appelés la Race Maudite”.
Les témoignages épistolaires qui parsèment le film, ces lettres d'un jésuite ayant visité le sanatorium au siècle dernier, sont pour le spectateur comme une machine à remonter le temps. Mais le lieu en lui-même paraît hors de toute temporalité, en plus de se trouver isolé dans l'espace.
Dans ses lettres, le jésuite s'étonnait de la liberté des résidents. Le contraste entre la vision des gens extérieurs à la structure et celle de ses habitants est frappante. Un homme qualifie même les Fontilles de paradis pour les malades, au prétexte qu'ils auraient, selon lui, tout à disposition. Cinéma, église, ou encore restaurant.
De son côté, un ancien malade parle du fait qu'il y avait une prison là-bas, au sein des Fontilles, et qu'ils pouvaient y être envoyés simplement pour être allés se promener en dehors du sanatorium. Au delà du mur. Pour avoir, un bref moment, rêvé de liberté.
L’entièreté de la vallée autour des Fontilles est chargée d'histoire, de légendes, de souffrance, c'est un lieu à part. Et l’on ne peut que comprendre la fascination de la réalisatrice à son sujet.
En nous invitant en son sein par l’intermédiaire de sa caméra, Callisto Mc Nulty nous donne à voir au plus proche ce que l’on a longtemps dissimulé honteusement derrière une immense muraille, et donne enfin la parole à ceux qui se pensaient invisibles.
La Muraille est un documentaire poignant qui ose mettre en lumière un passé que certains auraient voulu laisser s’effacer. C’est la chute d’un mur qui permet de réunir, enfin, deux mondes que l’on pensait voués à la scission.