Difficile d'être objectif face à un film qui a autant vieilli... et qui pourtant a tellement influencé l'image actuelle des morts-vivants. Night of the Living Dead bénéficie en effet d'une aura de film culte conférée par son statut de premier film de zombies "modernes". Leur démarche titubante, leur sale manie de venir grignoter les orteils des vivants, leur insensibilité aux blessures excepté les lésions cérébrales, ainsi que la nécessité de brûler les cadavres pour endiguer le fléau : autant de caractéristiques essentielles que se doivent de respecter les aspirants zombies, et tout ça grâce à l'oeuvre de George A. Romero.
Pour rappel, le zombie est à l'origine une créature des légendes haïtiennes, ranimée et hypnotisée par un adepte des rites vaudou afin de lui servir d'homme de main, sans volonté ni personnalité propre. Autant dire que Romero (entre autres) a pas mal bousculé les choses avec sa vision du mort-vivant ; que l'on ait aimé le film ou non, impossible de ne pas lui reconnaître ça.

Le long-métrage en lui-même se présente comme un huis-clos assez classique, avec maison de campagne abandonnée, nuit sans lune et horde de monstres cherchant désespérément à calmer leur fringale au moyen d'un petit groupe de survivants terrés derrière des portes barricadées. A force de raccords maladroits et de mise en scène minimaliste, Night of the Living Dead donne l'impression d'avoir été réalisé avec des bouts de ficelle (ce qui un peu vrai, le budget du film excédant à peine les 100 000$). Romero admettra par ailleurs que le choix du noir et blanc était financier plus qu’artistique. Malgré tout, le résultat est assez heureux, l'absence de couleur donnant un aspect plus menaçant aux revenants, qui autrement n'auraient sans doute pas été extrêmement impressionnants.
La musique a elle aussi pris un coup de vieux, mais elle remplit bien son office, stridente à l'occasion, plus sourde et inquiétante lorsque les circonstances l'exigent. Dans l'ensemble, rien de honteux étant donné les faibles moyens accordés à Romero et son équipe.

La troupe de survivants balade son lot de stéréotypes, qui à l'époque n'en étaient pas encore : le protagoniste sans peur, le lâche qui se muera en traître au plus mauvais moment, le jeune gars sympa dont on devine la faible espérance de vie dès son apparition à l'écran, et bien sûr la blonde... je veux dire LES blondes passives et écervelées (et ce sans même que l'intervention d'un zombie ait été nécessaire). A ce propos, on pourra reprocher à Romero d'avoir un peu abusé avec ses personnages féminins (Barbara, Judy et Helen), systématiquement affublés de l'intelligence et de l'instinct de survie de lemmings suicidaires. Voilà qui n'aura pas arrangé l'image de la femme dans les films d'épouvante... Mais bon, on est en 1970, l'émancipation de la gent féminine est alors un concept assez abstrait.
A contrario, le réalisateur a été en avance sur son époque en donnant le rôle principal à un jeune acteur afro-américain, Duane Jones ; bien rares sont les cinéastes à l'avoir précédé en la matière. Ce héros fait figure de seul personnage réellement battant, portant à bout de bras les espoirs de survie de sa petite bande. Il est d'ailleurs délicieusement ironique de voir ses vaillants efforts régulièrement anéantis par la bêtise et la lâcheté de ses compères ; à croire que personne ne souhaite s'en sortir à part lui.

Des clichés à la pelle donc, et pourtant on est assez captivé par les mésaventures de nos apprentis survivants, de la poursuite initiale jusqu'au cruel dénouement. Les responsables ? Un scénario classique mais efficace, une durée raisonnable (95 minutes, largement suffisant) et surtout un traitement intelligent de la menace zombie. Si le premier mort-vivant rencontré est seul et guère très intimidant, à mesure que le temps passe le nombre des assaillants croit, leur virulence augmente, leur apparence se détériore. Cette progression permet une montée constante de la tension, entre les personnages comme envers ce qui les menace. L'espoir s'éteint, la terreur s'installe, car les morts ne renonceront pas avant d'avoir goûté à la chair des vivants. Et comme le prédit bien inconsciemment un certain personnage au début du film, "ils viennent te chercher, Barbara."

Certains ont vu dans cette oeuvre une critique du capitalisme ou encore un plaidoyer contre la guerre du Vietnam. Pourquoi pas, mais je préfère y voir un bon petit thriller horrifique, classique fondateur d'un genre qui aura vu passer le meilleur comme le pire.
Alagus
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le 22 avr. 2014

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