Face au crime dont le film est le sujet, il est possible de choisir plusieurs traitements : film d'enquête, film "engagé" ou drame. L'écueil serait donc de vouloir faire ces 3 films potentiels de manière incomplète et lacunaire.
"La Nuit du 12" tombe à point nommer alors que les droits des femmes font l'objet de multiples discussions (mais bien peu d'avancées concrètes il faut le dire). Mais qu'en est-il vraiment de ce long-métrage en tant qu' "objet filmique" ?
Je ne pourrais pas cacher ma déception face à ce film qui souffre en premier lieu d'un cruel manque d'investissement émotionnel. Passée la moitié du film, on a assez vite tendance à s'ennuyer. La faute en premier lieu à des personnages très creux, très monolithiques, en somme des personnages qui n'inspirent pas l'empathie. Leurs dialogues manquent de relief et d'incarnation, même Bouli Lanners semble se débattre péniblement pour rendre ses répliques moins téléphonées - moins "écrites" -, sans grand succès.
Le problème principal d'où découle selon moi tous les autres problèmes c'est de n'avoir pas choisi quel traitement de l'affaire le scénariste voulait faire. Il doit pouvoir exister un montage qui met en valeur une des perspectives que j'ai citées plus haut.
- Soit on fait un "Faites entrer l'accusé" où l'on se place du point de vue du témoin de Cour d'Assises à qui l'on déroule point par point les éléments factuels du dossier, ce qui permet de prendre la mesure du crime et l'avancée de l'enquête. Cette manière de faire réduit les enquêteurs à de simples témoins et l'intérêt de cet exposé est d'essayer de résoudre le puzzle et de ce faire une "intime conviction".
- Soit on fait un drame, et on essaye alors de créer de l'empathie pour les enquêteurs de la police judiciaire, en découvrant leurs failles et leur ressenti sur les évènements. Le film s'en rapproche par moments mais hélas s'arrête en milieu de chemin. Le capitaine (dont le nom même m'échappe à peine 3 heures après la fin du visionnage) n'a aucun relief, aucune vie en dehors de son boulot. Il aurait été intéressant de découvrir comment ce policier qui tient tant à faire parler les suspects de leurs pratiques sexuelles vit sa propre sexualité (homosexualité assumée ou refoulée, recours à la pornographie). Cela aurait pu faire écho à la situation de Marceau qui vit une véritable castration dans le film - une sous-intrigue qui restera sans résolution à la fin du film. La plupart des personnages sont à l'image du capitaine : lisse. Une scène échappe à cette indifférence : lorsque le plus jeune du groupe parle de son futur mariage et que ces collègues lui tombe dessus, mais la scène tombe vite dans le didactisme.
- C'est un des défauts du film que je détaillerai ici, c'est son manque de subtilité. Premier plan du film, notre personnage principal fait des tours de vélodrome : énigmatique au premier abord, au bout de la quatrième séance, on a bien compris le symbolisme derrière ces séquences, cependant le réalisateur ne peut s'empêcher d'expliciter ce qu'il fallait comprendre par la bouche de Marceau "on dirait un Hamster" condamnant ainsi toute interprétation similaire ou différente.
- Enfin, si l'on s'intéresse à la perspective d'un film "engagé", il est regrettable de constater le manque de développement autour du sujet des "femmes". Finalement, les brèves touches de féminisme ressemblent plus à de l'opportuniste qu'à un réel engagement où réflexion sur le sujet. Ainsi on aura droit à des remarques évoquant plus un féministe à la petite semaine plutôt qu'une réelle réflexion : je paraphrase "tous les suspects auraient pu commettre le crime, et en quelque sorte tous les hommes sont coupables de ce crime". Voici un bel exemple de syllogisme visant à essentialiser le genre masculin en tant que coupable parce qu'homme. Il aurait été plus judicieux de souligner que les hommes qui ont entretenu une réputation de fille facile à la victime se sont rendus complices du crime en rendant son meurtre "moralement justifiable".
"La nuit du 12" essaie de mixer ces 3 approches de manière bien maladroite, laissant au spectateur un arrière-goût d'inachevé. Si c'est pour faire ce genre d'adaptation des faits réels autant faire un documentaire.