Une femme savante, une sorcière, une salope, les appellations se diffèrent mais le fond reste le même :

une femme intelligente, vivant ouvertement sa sexualité est une femme qui fait peur aux hommes depuis des siècles.


Le mouvement féministe, tout comme le système patriarcal, a des racines profondes dans l’Histoire de l’humanité. Or, alors que le système patriarcal n’ait jamais caché ses pratiques oppressives, les femmes ne commencent pas de s’appeler publiquement féministes avant les années soixante-dix du siècle dernier. Et la question qui se pose ici est : comment se positionne-t-il un homme du XXIe siècle vis-à-vis d’une féminicide ?

Ça semble être une des questions à laquelle le réalisateur français Dominik Moll essaie de répondre dans son dernier film La nuit du 12, lorsqu’on se trouve devant une féminicide qui se frotte contre les limites d’un procès de sorcière où une jeune femme de 21 ans est trouvé brûlée vive. Un homme est le cinéaste ainsi que la majorité de ses personnages principaux, des agents de la police judiciaire de Grenoble qui vont mener une enquête sur le meurtre.


« Deux spectres ont évoqué le passé »

On peut se demander dès les premières minutes de visionnage pourquoi on a choisi de travailler sur une cold case d’une histoire vraie d’un meurtre dont l’enquête s’est aboutie à rien. Pas de coupable, beaucoup de suspects et une seule victime, Clara. Cela peut s’expliquer par un intérêt de revisiter le passé en y portant un regard critique. Cet intérêt se matérialise dans le fantastique qui teint les faits réels. Peu après le début de l’enquête, Marceau, joué par Bouli Lanners, cite les vers suivants de Colloque Sentimental ; un poème de Paul Verlaine :

Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux spectres ont évoqué le passé.

C’est par cette citation que l’aspect fantastique s’évoque. Dans le crime qui a eu lieu à côté d’un parc, Clara et son assassin deviennent deux fantômes recréant un meurtre qui s’étend depuis le passé sur le présent. Le féminicide de Clara n’est point un cas particulier mais un crime à multitude de victimes qui vient nous hanter. Cela veut dire qu’on se trouve très vite devant une série d’analogie et des métaphores : c’est probablement pourquoi on n’entre pas dans les détails de la famille en deuil de Clara. Ce qui est donné à voir n’est pas seulement le meurtre de la jeune femme appelée Clara Royer mais un meurtre d’une jeune femme. Cela fait que les personnages masculins principaux, le jeune capitaine Yohan, joué par Bastien Bouillon et son ami Marceau ; incarnent les hommes du XXIe siècle qui vivent au cœur d’un des résultats du système patriarcal. Ceux ne sont pas des simples hommes modernes, ils sont aussi des agents de la police judiciaire, un milieu très machiste au sein duquel la présence féminine est quasi nulle. Et la scène de la soirée de retraite de l’ancien capitaine de l’équipe de police, avec laquelle la narration s’ouvre, n’est que la preuve : une assemblée d’hommes qui cherchent à cacher leurs émotions en faisant des blagues sexistes.


Capable Ou Coupable ?

A partir de deux spectres qui sont Clara et son assassin, les fantômes se multiplient. On remarque que plus l’enquête semble avancer plus les suspects apparaissent sous formes fantomatiques : alors qu’on va aller directement interroger le premier suspect Wesley Fontana dans son lieu de travail, on va descendre les escaliers et passer dans un couloir sombre pour interroger le deuxième, Jules Leroy, dans sa chambre peu lumineuse. Et cela se poursuit, en concrétisant l’idée que les hommes suspects pour la mort de Clara ne sont que des fantômes d’hommes capables (et donc non pas forcément coupables) de commettre un féminicide : le troisième suspect, Denis Douet surgis de noir à l’écran lorsque les deux policiers pointent leurs lampes de poches dans sa direction ; ainsi que la culpabilité de Gabi Lacazette se matérialise par les paroles de sa chanson, alors que la première ‘’appariation’’ de Vincent Caron en tant que suspect potentiel se fait par une trace de lui, un t-shirt sur lequel se trouve une tache de son sang. Le dernier suspect apparait sur une vidéo de la caméra de surveillance installée au cimetière à côté de la tombe de Clara, une appariation fantomatique par excellence selon Maxime Gorki. Yohan part à la chasse au fantôme. Son enquête ne cesse de tourner en rond : on trouve un coupable potentiel et juste quand on s’approche pour le saisir, il disparait. Les motifs de cercle et de répétition occupent une grande partie de l’esthétique filmique et de son aspect fantastique : le film s’ouvre sur Yohan qui fait son vélo en rond et cette même scène va se répéter à plusieurs reprises. D’autres éléments se répètent au fur et à mesure de la narration. C’est le cas de Nathalie, la femme de Marceau qui trouve son double dans le personnage de Nathalie Bardot, la compagnonne de V. Caron. Mais aussi le chat, un animal culte dans beaucoup de cultures ; associé au féminin mais aussi à la mort et aux esprits maléfiques, qui apparait à l’image plusieurs fois. Et quand l’équipe de la police judiciaire part à l’enquête pour la première fois, on évoque la recherche de son chat noir, signifiant la mauvaise chance mais plus on avance dans le visionnage plus on pense que le chat noir représente en fait le meurtrier et tout homme à tendance de féminicide. La répétition de l’ensemble de ces éléments nous renvoie à l’Eternel Retour du féminicide et de la violence subie par les femmes pour le simple fait qu’elles ne sont pas des hommes.


La simplicité, une arme à double tranchant

l’aspect fantastique rajoute une complexité à une esthétique simple, celle de portraits. Durant l’enquête se défile une série de portraits d’hommes qui ont connu Clara mais aussi de ceux de la police judiciaire. Cette esthétique de portraits semble être parfait pour montrer par des fragments, s’éloignant donc de l’idée de mal absolu, le discours violent et oppressif ; voire quelques fois affreusement indifférent, que portent les personnages masculins vis-à-vis de la femme qui a été Clara : une jeune femme bien jolie, décrite intelligente par son père qui a vécu une multitude de liaisons amoureuses et sexuelles. On peut facilement deviner les propos qui se filtrent d’interrogatoires et par certains agents policiers. L’ensemble forme d’une manière discrète le discours du système patriarcal dont les racines restent assez profondes dans la société d’aujourd’hui. Il est important ici de distinguer les profils de Marceau ainsi que de Yohan lorsqu’on trouve que Marceau représente un portrait complétement opposé à ceux d’hommes suspects (et de certains de ses collègues) où il est l’homme sensible, qui cite de la poésie et qui est profondément blessé et délicat dans sa relation conjugale. Ce n’est point anodin que le double de Nathalie (la femme de Marceau) est la petite amie de l’homme le plus violent dans l’histoire. Le bagarre entre ces deux personnages marque l’effet de chat noir des hommes. Un homme qui célèbre sa violence et son animalité, peu concerné par leurs conséquences. Pour ce qui concerne le personnage de Yohan, alors que certains jugeront le jeu d’acteur en tant que froid et inexpressif, on peut tout de même regarder ce visage sans expression et ces yeux vides comme une page blanche sur laquelle s’impriment, visuellement par la superposition mais aussi sonorement par les voix-off de suspects, les visages de tous les autres hommes. Ces portraits fantomatiques masculins fait que la question n’est plus qui a tué Clara ? mais pourquoi tous ces hommes semblent y être capable ? C’est peut-être pourquoi le réalisateur a choisi cette enquête pour son métrage où il importait peu de montrer la trouvaille du coupable mais surtout de montrer toutes les possibilités affreuses qui auront menées au même résultat : l’assassinat de Clara. Malheureusement, la simplicité de l’esthétique de portraits n’a pas été assez subtile lorsqu’on la trouve tellement poussée jusqu’à la limite de clichés : c’est notamment le cas de dialogues et d’interrogatoires qui sont quelques fois plats avec des répliques banales et usées. Cette simplicité bornée se propage aussi sur l’esthétique fantastique puisque Marceau mentionnant les spectres en citant P. Verlaine a été un ajout précieux, les dialogues que mène Yohan avec la juge d’instruction et Nadia, jouées par Anouk Grinberg et Mouna Soualem, par lesquels l’idée de fantômes est évoquée plus ou moins explicitement, n’ont pas apporter une grande valeur ni pour la narration ni pour l’esthétique.


La fin de La nuit du 12 semble être polémique voire plutôt polémiquement optimiste. Yohan qui tournait en rend sur son vélo, se laisse aller en pratiquant son activité dans les montagnes. Cela fait paraitre le personnage masculin comme une victime qui ; se libérant des fantômes qui la hantaient, trouve sa fin heureuse. Mais Yohan est-t-il vraiment une victime dans ce contexte de féminicide ? Bien sûr que non. Pourtant, on peut dire que Yohan, tout comme Marceau ainsi que l’ancien capitaine et les hommes qui ont peur d’exprimer leurs émotions, les hommes qui font partie volontairement et beaucoup de fois involontairement du système patriarcal sont des victimes de ce dernier. Des victimes qui ne se font pas tuer par le simple fait d’exister, mais des victimes tout de même. Cependant, on peut aussi croire que ce n’est pas forcement le message de Dominik Moll dans cette fin de film mais c’est plutôt, maladroitement, un regard optimiste sur le future : un jeune nouveau capitaine arrive à la tête d’une équipe au sein d’un milieu machiste, d’autres personnages, cette fois féminins, entrent dans le cadre mais aussi dans ce milieu-là. Nadia, un de ces personnages qui « n’a pas peur de fantômes » écrit Yohan à son ami sensible aux mots, à la différence entre une femme facile et pas compliquée, à Marceau. C’est en effet maladroit de croire que le simple fait d’avoir des femmes intelligentes et courageuses comme Nadia et la juge d’instruction, sans qu’elles se fassent bruler vive, suffit de changer le système. Mais on ne change pas le monde dans un jour et certainement pas par un seul film. Il suffit pour aujourd’hui de porter un regard critique sur soi-même et sur le système dont on fait part et d’espérer. C’est peut-être ce qu’il fait D. Moll et ses personnages.


Hanin_ML
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le 3 avr. 2023

Critique lue 62 fois

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