La Nuit venue est un beau film sur un Paris périphérique, aussi noctambule que désert. Frédéric Farrucci puise dans la nuit tout un éventail de visions, allant autant vers le sensoriel que vers le social et la mue des quartiers en sourdine.


Suivant les traces d’un chauffeur de VTC, chauffeur chinois sans papier, la caméra déambule de ruelle en ruelle, de client en client, de silence en silence, délaissant le Paris carte postale pour nous engouffrer dans une ville interlope plus contrastée et où la misère humaine n’est jamais bien loin. Les tentes des immigrés sous les ponts, les vendeurs à la sauvette, les repas expéditifs entre collègues, l’uberisation des relations humaines, le périphérique sans fin et les garages clandestins ont remplacé les grands appartements, les soirées luxueuses et les néons des grands hôtels parisiens. Sans jamais trop en faire, le film arrive parfaitement à rendre cohérent, politique et homogène son melting-pot de genres.


Se plaçant sur les rouages du polar et du film noir avec le spectre de la « femme fatale » et de la mafia qui rode, dérivant vers la romance souterraine puis glissant sur les branches de l’étude de caractère et de l’introspection sociale, La Nuit venue ne semble jamais étouffé par toutes ces velléités. Au contraire, d’une fluidité et d’une simplicité assez appréciables, l’ensemble respire grâce à ses personnages sortant des sentiers battus, une réalisation qui maîtrise ses effets de cadrage, son attrait pour l’organique (somptueuse Camelia Jordana) et grâce à de nombreux moments suspendus où l’environnement de la nuit et les personnages ne font qu’un.


Nicolas Winding Refn, avec Drive, avait eu l’idée de filmer un homme conduisant une voiture tout en écoutant de la pop électro. De son coté, Frédéric Farrucci s’intéresse plus à l’aspect naturaliste de la chose et met en scène un chauffeur de VTC qui se rêve DJ et qui slalome sur les routes parisiennes sous le joug d’une électro minimaliste, signée Rone. Cette BO, magnifique au demeurant, a un peu le même effet que celle de Lim Giong pour Millennium Mambo de Hou Hsiao Hsien : celui de pouvoir capter des moments de solitude (dans le taxi) ou d’osmose romantique (au concert de Rone), et celui de donner une impulsion presque hypnotique aux images, leur donnant un reflet encore plus prononcé, sans leur enlever leur visage politique.


Mais La Nuit venue n’est pas juste une balade nocturne ambiante et contemplative : le film se ressert beaucoup autour de ses deux protagonistes principaux et du lien social/amoureux qui les rapproche. Jin, chauffeur sans papier aux prises avec la mafia qui le fait payer ses dettes, et Naomie, strip-teaseuse dans des boites souterraines parisiennes : c’est alors la description d’un quotidien précaire et enseveli par les dettes, guidé par la peur de ce qui se trame au « pays » et fracturé par l’angoisse du vide, qui devient encore plus palpable et écrit avec justesse. L’envie de disparaître et de recommencer à zéro tient en vie nos personnages. Dans un climax, manquant certes un peu de tension, qui nous ramène à la dure réalité, là où les figurations de la fiction ne sont que de purs fantasmes, même si la lumière n’est pas forcément si loin. Sans révolutionner le genre, La Nuit venue convainc par son humilité, son originalité narrative, sa représentation nocturne picturale et son casting au diapason.


Article original sur LeMagduciné

Velvetman
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le 17 juil. 2020

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Velvetman

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