En plein ère d’obésité, de malbouffe, de plats préparés et de repas pris avec hâte, une pause salutaire était méritée, afin de déguster avec délice les mets à la longue élaboration, après avoir écouté la cuisson, humé les parfums, apprécié les amples et généreux mouvements puis laissé la fourchette pénétrer la création.
Une simple cuisine d’antan, avec ses fourneaux en fonte, ses casseroles en cuivre et ses belles assiettes en faïence sert de modeste espace pour la mise en scène enlevée de Trần Anh Hùng, lui ayant valu un prix à Cannes. C’est là qu’Eugénie (Juliette Binoche) exerce son art, avec une gestuelle grâcieuse et délicate que suit la caméra, comme une musique savante qu’épouse une danse légère et sensuelle. De sens il est d’ailleurs ouvertement question tant le cinéaste donne chair aux crépitements, aux fumets, aux présentations et évidemment aux dégustations. Or si Eugénie se démène en cuisine derrière le pépiement des oiseaux et la clarté presque divine du soleil avec une liberté totale, esquissant un sourire indéfectible, portant un tablier miraculeusement immaculé et ne démontrant jamais la moindre marque de peine ni de souffrance (aucune préparation d’animaux type volaille, pas de sueurs, ni de fatigue ni de soupirs, si ce n’est la maladie qui l’affecte), ce sont les hommes qui dégustent en comité restreint à l’étage, comme le veut l’époque. Étrangement, à aucun moment celle-ci ne se trouvera assise aux côtés de ceux-là, malgré leur invitation formelle. Toutefois, Dodin Bouffant (un Benoît Magimel qui récite et déclame bien son texte bien écrit), qui l’admire et l’aime, au point de la demander en mariage, descend, lui, en cuisine, y prodiguant conseils et instructions – de même qu’il s’immisce la nuit dans la chambre d’Eugénie, lorsque celle-ci en laisse la porte ouverte. Trần Anh Hùng marque clairement la frontière entre deux mondes distincts, celui du pouvoir et celui de la soumission, quoiqu’à aucun moment les rapports de domination ne soient explicités – au contraire, la passion de Dodin Bouffant pour Eugénie et les éloges des convives envers celle-ci traduisent leur respect.
Les positions étant si marquées et soigneusement respectée, le conflit se trouve d’emblée évité, si bien que l’action du film se retrouve limité à la chorégraphie culinaire, la glose poétique sur les mets, les rapports amoureux entre Eugénie et Dodin Bouffant présentés avec sentiment mais pudeur et enfin la question de la descendance, de la transmission et de la pérennité avec la jeune Pauline, jeune actrice au jeu très limité (tout comme Galatéa Bellugi qui fait office d’objet du décor). Narrativement, c’est donc très plat ; reste surtout la louange d’une culture gastronomique française, fort appréciée à l’export, et l’académisme tant moral que filmique qui sied à un tel projet.