**Frank Oz** aime les marionnettes.

Mais pas seulement.
Frank Oz aime la comédie quand elle est drôle, les monstres qui menacent et dévorent, et la chanson entraînante et groovy. Little Shop of Horrors, c'est un superbe équilibre de tout ça,



une comédie musicale horrifique où le rire prend le pas sur la frayeur



avec un bonheur considérable, et dans laquelle un merveilleux parterre de comédiens, en prenant visiblement un immense plaisir, nous offrent



un bouquet ravissant de mémorables séquences de rêve cinématographique.



Jusqu'à un excellent final, terrible, loin des happy end calibrés de l'industrie américaine.


*Little Shop of Horrors* tient tout entier autour d'un improbable duo constitué d'un jeune botaniste timide, introverti, Seymour Krelborn, et d'une plante carnivore d'abord charmante mais qui dévoile peu à peu son caractère expansif derrière un insatiable appétit. Le principal angle du scénario s'attache à suivre l'amourette hésitante de ce botaniste et de sa cruche de collègue, la douce Audrey, trop fragile pour oser quitter son dentiste de petit copain. Si ce fond bien mièvre tient la structure narrative du récit, c'est bien ailleurs que le film se développe : dans la riche floraison musicale interprétée par les plus belles plantes du métrage, dans le burlesque et le comique sans retenu de séquences épicées aux 


relents de charnier d'une humanité désabusée,



et dans l'entrelacement dense, luxuriant sous la décrépitude, des décors, des costumes et des impressionnantes mécaniques de latex et de carton-pâte.


Musicalement, le film est d'abord 


un bijou de soul music



adapté d'un music-hall à succès de Broadway, lui-même adapté d'une série b des années soixante. Si c'est d'abord le plaisir, surprenant, d'entendre Rick Moranis donner de la voix qui nous emmène dans un premier temps, si la voix fluette et inconfortable d'Ellen Greene perce un tant soit peu les tympans tout en collant idéalement au personnage, c'est surtout le trio de ces jolies filles des rues dilettantes et philosophes – Tichina Arnold, Michelle Weeks et Tisha Campbell-Martin – qui séduit dès l'introduction (avec Downtown notamment, superbe morceau choral pour nous plonger dans la misère sans horizon de ce quartier perdu de New York). Et bientôt c'est la voix grave autant que chaloupée de Levi Stubbs – la plante – qui nous emporte au cœur de la sorcellerie végétale à l'œuvre :



Feed me all night long !



Au niveau de la comédie, **Rick Moranis** sert humblement mais pleinement le rôle de cet avorton sans charisme qui rêve plus haut que ses possibilités en se laissant naïvement manipuler jusqu'au point de non retour. Gros challenge pour lui à l'époque, il tient le film haut la main sans faiblir un seul instant. À ses côtés,


Steve Martin dévore l'écran en dentiste rocker shooté au gaz



et diablement imbu de lui-même, et délivre une prestation impressionnante dans ce qui reste encore aujourd'hui un de ses meilleurs rôles à l'écran, et notamment lors d'une séquence en duo avec un incroyable Bill Murray masochiste, adepte de la fraise : cette seule séquence vaut le détour tant l'énergumène joue de babilles et de désinvolture avec autant de talent que d'espièglerie, bonheur total de l'exagération comique, superbe.


C'est évidemment sans oublier les prouesses de **Frank Oz** et de ses équipes de constructeurs et de marionnettistes. Les décors de studio respirent l'horizon bouché, l'asphyxie lente et irrémédiable d'un univers de paumés trop déconnectés du monde réel pour savoir comment respirer. La patine crasse et tristounette signe élégamment l'atmosphère désuète et théâtrale du métrage, assumant pleinement 


son ambiance artisanale



et spectacle vivant. La plante ensuite, au centre des attentions, est une merveille du cinéma de marionnettes. Pas un défaut dans l'animation, pas un accroc dans la réalisation mais une extraordinaire perfection dans l'intégration : croissance impressionnante lors d'une séquence où elle pousse de toutes ses forces pour grandir en défonçant la boite de conserve qui l'accueille, présence incroyable dans le mouvement et les mimiques d'un visage réduit à une unique bouche sauvagement expressive, et irrépressible empreinte vocale, doucereusement autoritaire, qui vient nourrir toute l'horreur de son caractère vorace.
Frank Oz se fait grand plaisir, à nous aussi.


Jusqu'à l'hommage final aux vieux films de monstres japonais, malheureusement un peu daté niveau incrustation mais sombre, apocalyptique à souhait.


Venant alors nous confirmer sans pitié aucune que de l'humanité il ne reste rien à sauver. Sinon la musique.


*Little Shop of Horrors* n'est peut-être pas le chef-d'œuvre du génial **Frank Oz** mais, dans la collection de ses nombreux effets et faits féeriques, se place là comme un showroom particulièrement efficace où son talent s'épanouit, belle plante, malgré l'obscurité crasse qui y fait l'atmosphère. 


Une extraordinaire petite boutique de savoir-faire méticuleux



, attentionné et patient, qui sait magnifiquement mettre en valeur le travail sublime d'un artisan hors-norme du cinématographe, aussi gourmand de magie que sa plante l'est de chair humaine, aussi dévoué aux spectateurs que son botaniste l'est à cette plante, et probablement aussi émerveillé par ses propres créations que nous le sommes là, calés dans le canapé ou dans le fauteuil d'une salle obscure. Repus de plaisir à ne savoir réellement comment le digérer maintenant.

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