Depuis quelques mois lauréate d’un second César et deux prix cannois simultanés, Hafsia Herzi continue son ascension vers le trône du cinéma français, place qu’elle occupe déjà à mes yeux. L’artiste aux multiples casquettes s’est montrée convaincante aussi bien derrière que devant la caméra, en témoigne ses interprétations tout en nuances dans Borgo ou Le Ravissement. Nous avons le plaisir de la retrouver cette année en tant que réalisatrice au cinéma (La Cour étant sorti sur Arte), quatre longues années après le brillant Bonne Mère. C’est avec ce portait de femme que j’ai basculé dans l’admiration pour un cinéma sensible qui oscille entre émotions fortes et humour dans une impression de naturel rendant attachant chaque personnage. L’adaptation de La Petite Dernière, récit autobiographique de Fatima Daas, se faisait alors attendre, le support semblait absolument correspondre aux ambitions d’une cinéaste à l’apogée de sa carrière.
Possibles spoils
Le quatrième long-métrage de Hafsia Herzi semble être l’aboutissement d’une recette parfaitement élaborée depuis Tu mérites un amour. Toujours au plus proche de ses personnages, sa caméra met en valeur des femmes du quotidien. Après une jeune adulte en quête d’amour, une mère âgée prête à tous les sacrifices pour ses enfants et une fillette voulant renverser les clichés d’une cour de récréation, la suite logique était une adolescente, période propice aux doutes et interrogations. L’identité fracturée de Fatima, musulmane découvrant son homosexualité, est présentée dès la première séquence. Face à un miroir, face à elle-même, enfermée dans un cadre étroit, la caméra filme son visage en gros plan mais celui-ci reste hors de la zone de netteté. Son identité est trouble et le conflit entre sa religion et son orientation sera le centre de l’intrigue, j’en veux pour preuve la mosquée filmée en plongée pour rappeler le poids de la religion dans le dilemme quotidien de l’héroïne. N’ayant pas lu l’ouvrage de Fatima Daas, j’ai été lors de mon premier visionnage surpris de l’approche du récit. Il n’y a jamais de conflit direct entre la famille et leur fille, l’intérêt de l’histoire réside dans l’enfermement mental de Fatima, nous sommes plongés dans sa tête et ses sentiments. Mieux encore, le regard infiniment tendre de Hafsia Herzi sur ses personnages, ce depuis son premier long-métrage, permet un traitement sans jugements qui force l’empathie. Fatima est ainsi, à l’instar de Nora de Bonne Mère, exceptionnellement attachante.
La Petite Dernière n’est pas seulement le sommet d’une écriture pleine de cœur, il signe également le franchissement d’un cap formel. Le cinéma de Hafsia Herzi n’a jamais été aussi beau qu’avec cette œuvre. Au delà de l’esthétique, sa caméra capte comme rarement l’intériorité d’un personnage en proie aux doutes qui trouve comme seul refuge le silence. Les plans nocturnes en grandes focales et au flou d’arrière-plan prononcé l’isolent des rues parisiennes, les figurants décadrés lors des soirées étudiantes insistent sur le fait qu’elle se ferme au monde qui l’entoure. Deux séquences brisent la solitude et montrent une Fatima plus solaire, plus émancipée. L’une d’elle est celle de la Pride, d’une beauté ahurissante. La vie comme l’image retrouve des couleurs, notamment celles du drapeau LGBT, alors que Fatima se sent à sa place pour la première fois, aux côtés de celles et ceux qui lui ressemblent. Le montage et la caméra osent quitter le visage de la protagoniste pour montrer diverses personnes de la déambulation, Fatima s’ouvre enfin et voit le monde dans lequel elle aimerait vivre. Le tout est rythmé par la musique aérienne d’Amine Bouhafa qui donne plus que jamais la sensation d’émancipation.
Hafsia Herzi a le bon goût de ne jamais se complaire dans les scènes d’intimité, elles sont à la fois d’une pudeur et d’une sensualité remarquables. La lumière sculpte les corps, elle met en avant leur beauté pour faire ressortir toute la passion de ces scènes. Chaque gros plan sur les visages et chaque corps filmé construisent une intimité chaleureuse et viennent affirmer le statut de cinéaste d’exception de l’artiste. Ces séquences n’oublient pas le plus important, Fatima est souvent montrée habillée comme si elle ne réussissait toujours pas à se dévoiler entièrement. L’effacement de la protagoniste se répercute sur le plan sonore. Hafsia Herzi aime le boucan selon ses propres dires, nous pouvions le remarquer dans les scènes de disputes entre sœurs dans Bonne Mère. Ici le son des discussions environnantes est parfois plus fort que la voix de Fatima, preuve qu’elle s’efface et ne se sent pas à sa place.
La réalisatrice adopte une mise en scène moins naturaliste que ses œuvres précédentes, l’imagerie est plus colorée et le travail d’éclairage davantage présent. Elle reste cela dit attachée à l’authenticité et c’est ce qui rend l’ensemble encore plus humain. Dans cette idée, le docteur en début de film est un vrai docteur, la mère de Fatima connaît sa première expérience d’actrice et fait réellement la cuisine pour toute l’équipe et le rôle titre lui-même est attribué à une jeune femme que rien ne prédestinait à devenir comédienne. Nadia Melliti a, comme elle m’a dit à l’avant-première, tout donné dans le rôle de Fatima. Son visage fermé et son attitude déconnectée apportent beaucoup à l’enfermement du personnage et sa manière de gagner en expressivité et rayonnement savent redonner le sourire lors de certaines séquences. Son dévouement est tel que le tournage de la séquence final l’a émue au plus haut point, une émotion qu’elle retranscrit à merveille dans une scène qui, à ma découverte, m’avait fait l’effet d’une bombe à retardement tant j’étais persuadé que la vérité allait réussir à sortir. Elle est la révélation de l’année, le festival de Cannes est visiblement d’accord avec moi et nous ne pouvons qu’espérer retrouver ce talent à l’état pur à l’avenir.
Après deux séances, je peux affirmer que La Petite Dernière compte parmi les plus belles propositions de 2025. Hafsia Herzi est définitivement une de mes cinéastes favorites, elle m’a une fois de plus conquis grâce à sa sensibilité et sa caméra chaleureuse. Fatima est un personnage aussi attachant que bouleversant que Nadia Melliti campe à la perfection. Ma deuxième séance a été de plus l’occasion d’enfin voir la reine Hafsia et de pouvoir échanger rapidement avec. Assister à la consécration de celle avec laquelle on saoule son entourage est un plaisir sans pareil. Ce sera ainsi probablement plus simple de financer le prochain projet que j’attends déjà avec impatience.