La Plage par pierrick_D_

Richard,un jeune routard américain en quête d'absolu,débarque en Thaïlande,le terminus de tous les occidentaux en mal d'exotisme.Dans son hôtel de Bangkok il rencontre Duffy,un anglais cinglé et drogué,qui avant de se suicider lui parle d'une île légendaire qui serait située dans le golfe de Thaïlande et lui laisse une carte permettant de s'y rendre.Accompagné de Françoise et Etienne,un couple de français avec qui il a sympathisé,il décide d'essayer de trouver cet endroit paradisiaque."La plage",un des gros projets ciné du début des années 2000,s'était fait tailler en pièces par la critique,assez injustement finalement.Le premier roman de l'anglais Alex Garland,grand succès de librairie en 96, était réputé inadaptable mais son compatriote Danny Boyle a cependant tenté le coup.Sans être une réussite majeure,le film est très intéressant et prenant.Flanqué de pointures comme son habituel scénariste John Hodge,le chef-op surdoué Darius Khondji ou l'immense Angelo Badalamenti à la musique,Boyle parvient à maîtriser cette fable philosophique suintant l'amertume.Garland,qui a lui-même fait la route dans sa jeunesse,crée une mythologie impliquant les derniers survivants du rêve hippie des années 70 confrontés à une légende urbaine,cette île isolée du monde,ne figurant pas sur les cartes et renfermant une plage idéale cernée de falaises,un paradis sur Terre dont le secret est scrupuleusement gardé par ceux qui le détiennent afin que ce lieu merveilleux ne soit pas envahi par les cons et ne devienne pas une sorte de Marineland,une pataugeoire à gogols et un nid à touristes destructeurs de la Nature.Certes Boyle en fait au début un peu trop avec ses gimmicks traditionnels,montage haché,zooms violents,gros plans brutaux,couleurs fluos dénaturées ou musiques agressives,mais il réserve ce traitement à la partie Bangkok,le film trouvant ensuite son rythme à mesure que se développe une aventure hors-norme.Richard est un véritable abruti qui prend systématiquement des décisions débiles,et il ne doit qu'au hasard de découvrir cette île.Il faut dire qu'il s'agit évidemment d'une totale utopie,une allégorie du paradis terrestre.L'endroit,situé dans un parc naturel,ne peut pas être inconnu de l'état thaïlandais ni des habitants de la région.D'ailleurs la communauté de beatnicks vivant là compte une bonne trentaine de personnes venues des quatre coins du Monde et qui sont tous arrivés à trouver l'île,où il y a aussi des fermiers cultivant des champs de cannabis.On se demande aussi où ces gens cachés à l'écart de tout système économique trouvent l'argent qui leur permet d'effectuer de temps en temps des achats sur le continent.L'histoire commence donc comme une chasse au trésor,un jeu de piste semé d'embûches aboutissant à la découverte de l'Eden.Nos trois aventuriers sont adoptés par la sympathique population cool et zen qui vit là entre pêche,cultures et construction de cabanes.C'est le retour à l'état originel,loin du stress,du travail,de la compétition et de la course à l'argent.On se baigne dans le lagon,on fait des fêtes,on fume des joints,on joue de la musique,on tape des parties de foot ou de volley,c'est la joie et la félicité.Mais naturellement le ver est dans le fruit.Le Paradis n'existe pas et de toute façon l'homme n'est pas fait pour y vivre,ce n'est pas par hasard qu'il en a été autrefois chassé.Des tensions apparaissent,de vieux réflexes refont surface,on voit venir le goût du pouvoir,la jalousie,les crises d'ego,les mésententes stupides,et peu à peu ce petit paradis va se transformer en Enfer.On avait atterri à Woodstock et on se retrouve dans "Apocalypse now",expressément cité,"Voyage au bout de l'enfer" et "Rambo".D'autant que la Nature n'est pas que bénéfique,elle peut être dangereuse et se charge de le rappeler à des insulaires qui se voient fort démunis quand les problèmes sanitaires les frappent,eux qui vivent loin de tout établissement médical.La belle solidarité cède alors la place au bon vieil égoïsme atavique et le bel ordonnancement panthéiste tourne à l'horreur et à la dinguerie.Ne restera au final que le souvenir d'un moment de grâce suspendu dans le temps,l'impression d'avoir goûté fugitivement à ce qu'aurait pu être un monde idéal avant de retourner à une civilisation au fond inévitable.Boyle a vraiment tourné en Thaïlande et a utilisé beaucoup de techniciens et d'acteurs locaux,même si les principaux rôles,scénario oblige,sont dévolus à des occidentaux.La plupart d'entre eux sont inconnus mais tous sont excellents et le sens du détail de la production a été jusqu'à engager des comédiens ayant la nationalité de leurs personnages.Leonardo Di Caprio est peu convaincant dans la première partie du film en ravi de la crèche à côté de la plaque mais prend ensuite de la densité en homme des bois givré.Virginie Ledoyen et Guillaume Canet sont excellents en jeunes français dont le couple vacille et Tilda Swinton impressionne en chef de meute psychorigide proche d'un gourou sectaire.Robert Carlyle hante le film et le personnage de Richard en fondateur de la communauté incapable de continuer à y vivre mais également inadaptable à un retour à la société.Parmi les hippies il y a une autre petite française,Hélène de Fougerolles,mais son rôle est très minime.La bande-son est fournie et on peut entendre notamment les All Saints,Moby,Blur,Mory Kanté,New Order ou les Chemical Brothers.