Matt Reeves fait partie de ces réalisateurs qui ont été découverts sur le tard. Après avoir signé quelques scénarios au sein de collaborations parfois prestigieuses (il a co-écrit The Yards avec James Gray) et un premier film passé inaperçu en 1996, il s'est surtout fait connaître pour avoir travaillé avec son ami J. J. Abrams sur la série Felicity. C'est d'ailleurs grâce à lui qu'il a pu connaître sa renaissance sur grand écran quand ce dernier lui confia les rênes de Cloverfield. Véritable monument à sa sortie et qui est très vite devenu culte, le film permis à Reeves de relancer sa carrière, à travers un remake correct du film suédois Morse, mais aussi en prenant la suite du reboot de la saga Planet of the Apes lancé par Rupert Wyatt en 2011. Même si avec Dawn of the Planet of the Apes (le deuxième opus sortie en 2014) il signait son meilleur film, il s'imposait comme un bon élève mais sans génie. Il emballait des scènes assez exaltantes mais dans un film globalement froid et sans vision forte passé son sublime premier acte. Moins émouvant et pertinent que le premier film, Rise of the Planet of the Apes, Reeves montrait qu'il était un réalisateur accompli mais il lui manquait un supplément d'âme. Cela dit, le revoir retourné pour le 3ème (et dernier ?) opus de cette saga reboot avec quelque chose de rassurant car il promettait au moins un film bien emballé.


Mais Matt Reeves à gagné en notoriété et en ambitions depuis son retour en 2008 avec Cloverfield, et avec ce nouvel opus il ne met pas à contribution que son talent de metteur en scène mais cherche aussi à apporter sa patte scénaristique au film. Co-scénarisant ce War for the Planet of the Apes avec Mark Bomback, il montre qu'il veut s'aventurer sur un film plus personnel et qui a pour vocation de l'asseoir définitivement comme un cinéaste qui compte. Reprenant la suite des deux premiers films avec grâce, le scénario parviendra à leur faire honneur sans les trahir dans ce qui s’apparente très clairement comme un arc narratif qui se ferme. Dans cette volonté d'apporter une conclusion à l'histoire entamée dans le premier film, ce opus reconnecte avec une forme d'émotions que le deuxième film avait perdu en cours de route. Émouvant, dense et surtout très actuel dans les thèmes qu'il aborde ce War for the Planet of the Apes s'impose comme une oeuvre politique d'une intelligence rare dans le paysage du blockbuster hollywoodien et qui redonne ses lettres de noblesses à une science-fiction qui se veut avant-gardiste autant qu'alarmiste. Décentrant définitivement son point de vue des humains, ici pas de figure héroïque parmi les hommes, pour se focaliser totalement sur la quête des singes, la saga n'a jamais autant paru proche des préoccupations de notre temps et arrive en ça à dégager des enjeux palpables qui toucheront directement le spectateur. Mais par la finesse de son écriture jamais le film ne tombera dans la facilité du manichéisme et ose même pousser des réflexions d'un pessimisme très noir ainsi que d'une complexité qui ne mâchent jamais le travail aux spectateurs. Sans être inaccessible, le film demande un engagement certain par ses choix comme lorsque que la plupart des dialogues sont comme dans le précédent opus, en langage des signes.


Toujours aussi audacieux dans sa démarche, le film sera quand même pas exempts de défauts. Même si cela ne dérange pas vraiment, il reste assez attendu dans certains aboutissements de son histoire et la conclusion brille par sa dignité et son émotion toute en retenue mais elle s'avère quand même assez prévisible. Après l'oeuvre à le mérite de ne pas forcé les passages émotionnelles, au contraire elle se montre souvent très juste mais là où elle apparaîtra moins subtil c'est dans l’abattage de ses références et ses symboliques. On reconnait très clairement les influences bibliques dans le chemin de croix de César malgré un propos très clair qui condamne le fanatisme, ou encore les références cinéphiles ici et là entre le film de guerre Apocalypse Now au western crépusculaire. Mais malgré un manque de subtilité certain dans ces aspects là, la sauce prend admirablement bien et le film ne se laisse jamais étouffé par ça car il propose toujours quelque chose d'intelligent et de nouveau à côté. Il arrive même à mettre habilement en place un comic relief au sein d'une histoire pourtant très sérieuse sans jamais casser le drame des événements, sachant ce montrer grave tout en apportant ici et là une note légère plus que bienvenue.


La performance technique est elle aussi incroyable, surtout pour des effets spéciaux impressionnants qui permet de mettre en images des singes plus vrais que nature. Tous criant de vérité, ils sont juste bluffants par l'humanité qui se dégage de leurs regards mais aussi de leurs mouvements où on a encore franchis une étape dans le photo-réalisme des effets spéciaux. Mais ceux-ci sont aussi soutenus par des performances d'acteurs admirables. Ils sont tous excellents même si encore une fois c'est Andy Serkis qui tire son épingle du jeu dans le domaine. Sa performance est telle qu'elle en est très clairement oscarisable, ce serait une honte si il n'était pas au moins nommé. Car avec subtilité, élégance et charisme, il arrive à donner vie à un personnage numérique sans équivalent qu'il en devient presque réel. La magie opère totalement est prouve que l'acteur est très clairement un des meilleurs acteurs hollywoodien actuel. En face, Woody Harrelson s'en sort très bien avec un rôle qui aurait pu paraître caricatural et over the top mais dont l'acteur arrive à apporter une nuance avec beaucoup de sobriété. Surtout que Matt Reeves ne sacrifie jamais les prestations de ses acteurs sur l'autel du spectacle et il leur laisse le temps de s'imprégner de leurs rôles.


Par contre même si l'action ne prend jamais le pas sur le récit, Matt Reeves parvient quand même à signer un divertissement spectaculaire et par moments épiques. Avec une photographie léchée et un score plutôt réussi de Michael Giacchino, il arrive à mettre en scène des moments prenants et exaltants qui bénéficie d'une imagerie forte et très esthétisée dans la gestions des éclairages mais aussi des environnements. L'ensemble est bourré de personnalité et rien ne semble moins inspiré au cours du film, au contraire du précédent film qui devenait plus générique une fois que les humains entraient dans le récit. Reeves construit toujours aussi habilement la tension de ses scènes d'actions avant de les faire exploser. Travaillant avec attention la profondeur de champs et privilégiant les longs plans, il possède un sens du mouvement et de l'action très affiné et il emballe ses séquences les plus musclés avec une maîtrise qui laisse souvent pantois. Le réalisateur arrive clairement à maturité ici et il trouve dans cette épopée désespérée et ample, une âme qu'on lui connaissait pas et qui permet à son oeuvre de transcender le tout venant du divertissement américain.


War for the Planet of the Apes est un leçon de cinéma aussi touchante que mémorable et qui permet à la franchise d'être encore ce qui se fait de plus intelligent dans le blockbuster US. Marquant la fin d'une trilogie, le film s'impose comme un des meilleurs opus de sa saga en étant tout aussi actuel qu'avant gardiste. Le récit brosse des thématiques qui met le spectateur face à ses propres inquiétudes dans un monde de plus en plus en proie au conflit. Sans sacrifier son aspect divertissant face à ses interrogations mais sans non plus négliger ces dernières, il trouve une osmose rare dans ce genre de productions qui se montre aussi exigeant que généreux envers son public. Mais si par moments un brin trop prévisible, War for the Planet of the Apes reste un excellent film aussi spectaculaire et dense que profondément humain et touchant. Du grand cinéma de divertissement et assurément le film de l'été.

Frédéric_Perrinot
9

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le 8 août 2017

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