Comment conclure une vie dédiée au cinéma ? Après avoir réalisé des chefs-d'œuvre du noir et blanc l'illustre Clouzot nous répond en couleur avec une fresque érotique sur la domination et le plaisir. Bon. Mais est-ce si surprenant ? En parcourant la filmographie de Clouzot il est impossible de passer à côté de sa misanthropie, de comprendre que son intention de réalisateur est de représenter l'Homme dans ce qu'il a de plus noir, de mettre en scène ses passions et ses tourments, de l'étudier tel un entomologiste. Edgar Degas, autre immense misanthrope, aimait représenter les corps dans ses tableaux et ses sculptures. Il peignait des danseuses non pas pour leur raffinement mais parce qu'à travers la danse elles arrivaient à contraindre le corps et lui faire tenir des positions impossibles, irréalistes, inhumaines. Degas ne percevait le corps que comme un amas et ce qui l'intéressait était sa sujétion. Clouzot est habité de l'exacte même cynisme mais pour l'esprit. Quoi de plus naturelle alors que de finir une œuvre par l'emprise et son incapacité à s'en extraire ?

Tout dans ce film est dialectique : la jonction entre l'envie et la honte, entre la jouissance et le dégout ; la figure de proue d'un mouvement avant-gardiste qui collectionne les sculptures tribales ; la paire homme dominant et homme effacé ; les balbutiements d'une époque émancipatrice aux besoins rétrogrades. Clouzot livre ici une synthèse de toute l'ambiguïté psychologique et morale de l'âme humaine.

L'extravagance du milieu contemporain illustré par Clouzot est ce qu'il reste de son projet inachevé "L'Enfer". Malgré une ribambelle d'œuvres et de propositions le film se détache du monde artistique en cours de route pour se focaliser presque uniquement sur l'histoire érotique. On se demande alors à quoi aura servie cette longue introduction si ce n'est à faire rencontrer deux personnages. Le film semble profondément inspiré par le Blow-Up d'Antonioni sorti deux ans plus tôt mais ne réussi pas aussi bien que ce dernier à ancrer son récit.

Le plus frappant, outre la couleur, est le cadrage et la composition. Ce film fait tache par rapport aux précédents, d'une qualité bien en deçà. Certaines scènes ont le visuel de sitcom AB Production tant est si bien que l'on se demande si ce que l'on regarde ne serait pas tiré d'Hélène et les garçon. Coupez le son et il vous sera impossible de percevoir la moindre identité de Clouzot. Mais le propos du film est ailleurs et reste percutant.

J'aurais aimé, pour un dernier film de Clouzot, une immense fresque en noir et blanc, d'une acidité similaire à celle ressentie dans "La vérité". A la place j'ai eu un boulard. Pas choqué mais un peu déçu.

Negative-IQ
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il y a 1 jour

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