La Promise
4.8
La Promise

Film de Franc Roddam (1985)

---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série. Tu es ici au dix-septième chapitre. Je tiens à jour l'ordre et l'avancée de cette étrange saga ici :
https://www.senscritique.com/liste/Franky_goes_to_Hollywood/2022160
Si tu n'en a rien a faire et que tu veux juste la critique, tu peux lire, mais certains passages te sembleront obscurs. Je m'en excuse d'avance. Bonne soirée. --


Ténébreux amant,


J’ai rencontré un ami de Wulver. Je suis si heureuse ! Pas tant parce que mon enquête fait un bond avec cette information que parce que Wulver a un ami. Un ami qu’il a sur garder jusqu’à la fin, qu’il a du quitter par nécessité mais qui lui est resté dévoué. C’est drôle car dans l’avion qui me conduisait vers lui ce soir, le film que j’y ai vu m’a tout expliqué. Ça y est, la créature de Frankenstein tel que tu me la décrivait, celle que tu comparais à mon ami, elle a pris vie à l’écran.
Oh, c’est drôle aussi, ce que je reprochais au film d’hier, choisir une star chanteur au lieu d’un acteur de métier pour incarner l’un des rôles titres, je ne le reproche plus du tout au film de ce soir : Sting est un baron Frankenstein formidable, ravageur dans son rôle de noble savant et charmant, parfaitement juste dans chacun des aspects formant la personnalité trouble du créateur maudit. Il faut dire qu’il est aidé par une lumière sculptant son visage avec élégance et expressivité, ainsi que par des costumes tout en dentelle, en froufrous et en soieries. Bref, prend l’éclairage Universal Monsters, l’ambiance Hammer, colles-y un scénario formidablement novateur, tu auras un aperçut de la pépite qu’est La Promise.
Permet moi de m’épandre un peu plus sur ce scénario dont je suis sous le charme. Pour la première fois du mois, j’ai comme l’impression que je n’ai rien à lui reprocher. Même pas cette scène de viol (tu as compté ? On en est bien à 5!), assez difficile à supporter mais finalement relevant un nouvel aspect des plus noirs de la personne du baron. Et même si je ne suis pas fan de ce nouveau trait que les films s’obstinent à lui prêter, je dois reconnaître à La Promise que pour une fois ce trait est justifié, le personnage a été suffisamment travaillé avant pour qu’on nous amène ça dans une continuité logique, révélatrice même. Et maintenant que j’ai surmonté le seul élément qui m’aie mitigée, c’est la grande ligne droite des compliments. S’inspirant, mais d’assez loin, du pilier que constitue désormais légitimement La Fiancée de Frankenstein, comme nous l’as déjà suggéré le titre, le film s’ouvre sans perdre un instant sur cette scène de création en laboratoire qui était pour certains autres le point d’orgue vers lequel l’entièreté du film amenait. Ici, on se permet de se servir de la puissance visuelle -et sonore- de cette scène comme d’une scène d’ouverture explosive, in medias res comme disent les savants, qui ne laisse pas d’autre choix que de plonger sans délai immédiatement dans le film. Ladite scène, non contente de faire jouer la grande machine à émotions qu’est le cinéma, en profite pour nous situer dans l’Histoire de celui-ci : on est là dans un film très reconnaissant à ses aînés, à en juger par de nombreuses références révérencieuses, mais qui n’hésitera pas à prendre la liberté que lui dicte son époque, à en juger par les écarts scénaristiques assez frappants qui ponctuent cette introduction.
S’ensuit alors un montage alterné qui durera presque tout le long du film, sur les destins très différents et pourtant intrinsèquement liés des deux créatures de Frankenstein. Les deux histoires sont passionnantes, se complètent et se répondent l’une l’autre en permanence. Par moment ces échos semblent se faire plus que métaphoriques, matérialisant presque physiquement le lien unissant ces deux être atypiques. Mais Franc Roddam (c’est le nom du génie éphémère à la réalisation) garde toujours la subtilité de nous laisser dans l’incertitude : coïncidence ou réel lien métaphysique fantastique ? Mystère. Quoi qu’il arrive, les deux vont se confronter à la cruauté, d’autant plus déchirante que pour la première fois les créatures de Frankenstein n’incarnent plus l’horreur, mais l’innocence. L’innocence de deux être catapultés dans un monde dont ils découvrent tout, le meilleur comme le pire. L’amour, la jalousie, la haine, l’amitié, la beauté, le danger, la peur, l’avarice, l’art et le savoir, ils sont forcés d’apprendre tout, trop vite, et même les bonnes choses se finissent dans la douleur pour ces deux rejetés de l’humanité. Mais je dois me corriger : à me relire, je sens un film lourd, tire-larme, s’enfonçant toujours plus profondément dans la souffrance. Il n’en est rien. Malgré ce scénario grave, le film sait se maintenir en équilibre sur une naïveté incandescente propre aux personnages : de partout, des manifestation de sincérité, d’honnêteté, de fraternité inonde ce film de douceur. Ce film c’est un baume sur le cœur. Il parle de son monde avec lucidité mais sans pessimisme aucun.


Avant de te quitter, je ne peux clore cette lettre sans t’avoir parlé de féminisme. Je sais que tu es toujours à mes cotés dans ce combat qui ne devrait pas être, je sais que tu es un allié infaillible et c’est rassurant. Ce film en est un autre d’allié. Il pose la question de l’égalité des sexes comme je la vois : un problème qui ne devrait pas en être un et qui l’est malgré tout. Sur la volonté du baron, il apprend à sa création féminine à être une femme forte, indépendante, cultivée, l’égale de n’importe quel homme. Et tout semble normal, jusqu’à ce que la société des bonnes mœurs se rappellent à eux, essayant de replacer la jeune fille doucement d’abord, puis de plus en plus violemment, à la place qui lui revient. Las, même le baron sera vaincu par cette vision et se comportera de manière hautaine envers cette élève qui a ouvertement dépassé son maître.
Mieux encore : je t’exposais il y a la moitié d’un mois passé maintenant, mon trouble face au mystère que posait La Fiancée de Frankenstein : pourquoi diable avoir donné à la création féminine du baron les mêmes traits que ceux de l’auteure ? Je ne sais pas si La Promise répond à cette question, mais il assume en tout cas de faire suite à ce mystère : la création est clairement construite comme on aurait construit le personnage de Mary Shelley. Comme l’a construit d’ailleurs à peu près très récemment le film biopic éponyme. Libérée sexuellement, intellectuellement et psychologiquement, forte et parfois têtue, savante, sensible et romantique. Et si ça ne répond à aucune question, cela crée du moins une boucle intéressante : la créatrice du personnage de Frankenstein recréée par les mains de celui qui est né sous sa plume. Boucle qui devient vertigineuse quand Frankenstein et sa création se disputent l’attribution de Prometheus Unbound. Permettant aux personnage de prononcer le nom de Shelley, et sans manquer de choisir l’œuvre pour mieux souligner le sous-titre de l’œuvre de Mary Shelley, « ou le Prométhé moderne ». Ce clin d’œil d’une audace et d’une subtilité folle souligne l’injustice qu’a subit le roman de Mary Shelley dans ses premières heures, à être attribué à tort à son mari pour mieux le vendre. Et quand Frankenstein, de rage de s’être trompé, jette l’ouvrage dans le feu, faisant disparaître à nouveau le nom de son auteur, il ne fait que mieux souligner le camps des oppresseurs dans lequel il bascule en cet instant.


Je te joins ici une nouvelle adresse pour tes réponses, je ne saurais affronter la dernière étape de mon aventure sans suivre passionnément les tiennes.


Tu es mon modèle de courage,
H.

Zalya
9
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Créée

le 24 nov. 2018

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Zalya

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