Pride and Prejudice.

En 1971, la Shaw Brothers décide d'offrir une nouvelle aventure à leur populaire sabreur manchot, héros martyr de Un seul bras les tua tous et de Le bras de la vengeance. Mais alors en bisbille avec son interprète Jimmy Wang Yu, jugé trop gourmand, la production se tourne vers David Chiang, comédien déjà aperçu dans le second volet de la trilogie.

Qui dit nouvel interprète dit nouveau personnage, ce qui va permettre au cinéaste Chang Cheh et au scénariste Ni Kuang de revoir totalement leur univers, de proposer une trajectoire et une approche différente. Le sabreur du titre devient ainsi un jeune orgueilleux sûr de lui qui, suite à une défaite, rongera son frein et apprendra l'humilité dans la douleur et le sang.

Il n'est plus question ici de défendre la justice par pur esprit chevaleresque, mais bien d'exorciser ses démons et de libérer une rage trop longtemps contenue par un déchaînement de violence, ce qu'illustrera avec force et fracas un final sanglant et cathartique, apothéose récompensant comme il se doit les attentes de spectateurs contraint d'attendre les dernières minutes pour assister enfin au défouloir promis.

Tout en respectant les codes du wu xia pian, Chang Cheh s'en éloigne brillamment, se rapproche carrément du western, plongeant son public au coeur d'un spectacle frôlant par instant l'abstraction, aspect renforcé par l'emploi de ralentis et d'une bande son mêlant lyrisme et sonorités plus contemporaines. Le montage est également à saluer, nous rendant palpable et douloureux le chemin de croix d'un anti-héros parfaitement incarné par David Chiang, et secondé avec talent par un Ti Lung apportant un contrepoint plus honorable.

Malgré ses longueurs, La rage du tigre est pour moi le volet le plus marquant de la trilogie du Sabreur Manchot, un épisode crépusculaire mis en scène avec brio par un Chang Cheh bien vénère, doublé d'une très belle histoire d'amitié.