Posons quelques mots sur un film qui en mérite tant, mais ou tant d'autres auront su le faire bien mieux. Plutôt que d'essayer vainement dans faire l'exégèse je ne m’arrêterait que sur la séquence d'ouverture qui a elle seule définit quasiment tout le film.


Tout débute dans le camion technique de Radio cité, un film qui a pour vocation de raconter débute littéralement dans les coulisses de ceux qui racontent ou cherche à le faire. Il s'ensuit un court plan séquence ou une journaliste tente d'approcher le héros du jour, André Jurieux venant de traverser l'atlantique en avion.


Celui-ci retrouve un ami, écarte le ministre en train de le féliciter pour s'en approcher, une discussion intime commence et une double perte d'intimité se joue, celle provenant de nous, le regard curieux de cette caméra tournant autour d'eux étant le prolongement de notre regard et celle de cette journaliste cherchant à tout prix à s'interposer entre eux pour recueillir les premières paroles du héros.


Une double violation intra et extra diégétique, cette dualité sera permanente dans le film tant dans son récit que sa mise en scène ; drame et vaudeville, noble/bourgeois et domestiques, mari et amant, amour et raison, profondeur de champ jouant du premier et arrière plan, déplacement dans le cadre substituant une situation à une autre...


Pour en revenir à cette séquence d'introduction, André dépassé par les circonstances et par l'absence de cette femme qu'il aime il va au micro faire une chose qui n'est ni attendue ni désiré, il va simplement dire la vérité, aller au delà des illusions que l'on cherche à entretenir et parler de son malheur immédiat. En refusant de respecter cette première règle tacite, celle consistant à jouer le jeu visant à entretenir la chimère qui maintient la cohésion de cette société refusant d'admettre sa propre déliquescence.


Sur ces quelques mots lancé au micro il vient de déclencher tout un mouvement qui aboutira à sa perte. C'est ce mouvement que Renoir va s'acharner à mettre en scène dans un foisonnement de mots et la mobilité de sa caméra et des interprètes qui vont n'avoir de cesse d'y apparaître et d'y disparaître, cherchant en permanence à duper et quitter le cadre mais n'y parvenant jamais, prisonnier de règles qu'il rêve d'outrepasser mais ne peuvent s'y contraindre.


Le seul qui y parviendra le fera de la pire des façons et à ce moment là, la caméra ne finira par ne pouvoir plus que capter l'ombre de ceux qui reste. Si je fais du film un portrait qui peut sembler sombre, il n'en reste pas moins savoureux et d'une drôlerie mordante et ces batifolages se rapprochant par de l'opéra bouffe tant se dégage de la caméra de Renoir une musicalité dans ses mouvements. Un très grand film dépeignant une galerie de personnages terriblement attachant dans la vacuité qu'ils véhicule dans un monde à l'aube du plus grand des bouleversement.

LionelBremond
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le 2 janv. 2024

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LionelBremond

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