Avec son dernier long-métrage sorti quelques mois avant sa mort, Kenji Mizogushi laisse un précieux et puissant héritage aux femmes de son pays. Il le fait en passant par la condition de vie des geishas forcées d’harceler les passants dans la rue pour offrir leur corps moyennant quelques yens qu’ils vont partager avec les tenanciers de la maison. Pas des poquées de la vie, mais des mères de famille courageuses qui se sont résignées à ce métier pour subvenir aux besoins des leurs. L’argent est omniprésent dans le film, on se paie, on s’en doit, on se rembourse, on en subtilise le plus possible aux clients quitte à lui faire croire qu’on va l’épouser. On y laisse sa dignité, il faut que ça rapporte. Mizoguchi est l’un des grands forgerons du cinéma Japonais qui se démarque par l’art de la composition de l’image et l’intelligence du propos. Ici point de séquences de nudité ou d’agression pour illustrer la dureté de la vocation, on a tout compris. Le jugement des proches est suffisamment cruel pour saisir le mal à l’âme de ces filles dont la solidarité est la seule arme pour vaincre la honte. Dès la première séquence il est question qu’une loi interdisant la prostitution puisse venir les sortir de cette spirale humiliante. Le propriétaire du bordel s’y oppose en faisant valoir que les filles sont plus en sécurité dans une maison supervisée. Les élus l’ont entendu. Les dernières images montrant une novice descendre dans la rue pour une première fois le visage affolé vient confirmer que la guerre au proxénétisme n’aura pas lieu.