Une bonne partie du Frank Capra humaniste jusqu'à la moelle qu'on connaît bien, adepte d'un certain manichéisme et du happy end de rigueur, est entièrement contenue dans La Ruée (American Madness), un film assez peu connu et qui pourtant figure parmi ceux qui trouvent malgré tout un équilibre dans toutes les limitations citées précédemment. Petite particularité qui rend le visionnage encore plus intéressant : le film fut tourné pendant la Grande Dépression et traite justement de la panique banquière de l'époque et des difficultés financières de son temps — un des premiers films hollywoodiens à aborder la question de la sorte.


On reconnaît vite le terrain de Capra : Walter Huston est un patron de banque à la fibre sociale particulièrement développée, un être sincère et généreux qui veut aider les gens et faire circuler de l'argent contre l'avis de son conseil d'administration, peuplé d'actionnaires frileux et cupides. Mais sur cette toile de fond un peu convenue se greffe deux membres apportant chacun son hétérogénéité : une relation qui pourrait s'apparenter à une liaison extra-conjugale, et une séquence de casse qui conduira à une marée humaine personnifiant la folie de la foule. Dans les parages traîne un caissier et surtout ancien prisonnier à qui on a donné une seconde chance, qui bien sûr fera l'objet des premières suspicions au lendemain du cambriolage et qui bien sûr (dans le référentiel du cinéma de Capra) se révèlera innocent. Le motif de la non-révélation de son alibi pourtant parfait est lui aussi un peu artificiellement inséré dans l'engrenage du scénario.


Ceci étant dit, Capra déploie son talent de formaliste à de très nombreuses reprises, que ce soit pour décrire la vie de la banque — avec les standardistes, balayeurs, gardiens — ou pour mettre en scène la propagation de la rumeur, qui transformera le vol de quelques dizaines de milliers de dollars en une ruine par millions. Les clients qui arrivent comme la marée haute en emplissant les locaux de la banque, avec un flot de centaines voire de milliers de figurants, fait partie des séquences les plus impressionnantes du film. Le renversement de situation presque final, très schématique, avec le regain de confiance insufflé par ceux à qui la banque avait fait confiance, est un incontournable du cinéma de Capra : on passe d'une situation catastrophique à une résolution d'absolument tous les conflits en un coup de baguette magique. À la cupidité et l'arrivisme de quelques-uns, on oppose la générosité et le dévouement des autres. La foi (en l'être humain, mais aussi en son banquier, en un sens) qui soulève des montagnes, c'est très naïf mais on peut l'accepter sans trop de grimaces ici.


http://je-mattarde.com/index.php?post/La-Ruee-de-Frank-Capra-1932

Morrinson
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le 22 mars 2021

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Morrinson

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