Regarder la Sapienza, c'est prendre le risque d'être charmé par des séquences d'une beauté inouïe, puis l'instant d'après, être accablé par un amateurisme complet.


Les quinze premières minutes, déterminantes quant à faire "rentrer" le spectateur dans un film sont ici catastrophiques. Les clichés auteuristes s'accumulent, dont le jeu des acteurs est symptomatique : diction fractionnée, liaisons surlignées, regards caméra appuyés. Palme de la séquence la plus pénible, dans une file d'attente, une femme demande au téléphone à son mari s'il l'a trompé. Morceaux choisis : "C'est moi, moi, moi. Tu as le courage de me parler ou non ? Bah réponds, espèce de chiffe molle. Oui ou non. Est-ce que tu as baisé avec elle ?".


Aucun intérêt thématique ou narratif, gratuité de l'amateurisme de la comédienne, et du regard caméra final de l'actrice principale qui nous prend radicalement à parti.


Mais dès que "La Sapienza" s'échappe de Paris vers les rives du Lac Majeur, à Sensa, la réalisation respire par l'architecture et les paysages italiens. Eugène Green capte la lumière et la variété des environnements avec un anti-naturalisme assumé. Les panos, amples et fluides, révèlent la complexité des architectures baroques de l'Italie d'antan, avec son regard de professionnel, affûté et précis. Alexandre, architecte parisien, et sa femme, cherchent l'inspiration dans leur respiration transalpine, loin des interrogations professionnelles parisiennes qui laissaient à désirer. Plus le film avance, plus il dévoile la finesse de ses digressions architecturales, vision savante et passionnée d'un art que le maître apprend à transmettre.


La rencontre entre le couple de protagonistes et un jeune frère et sa sœur, vont créer une dynamique inattendue. Les regards caméra prennent une nouvelle dimension en dévoilant la fragilité des êtres, et l'originalité du champ contre-champ sur la ligne des 180°, confronte l'ancienne génération, française, désabusée, à la nouvelle génération, italienne, vivante. Peu à peu, l'esthétique d'Eugène Green, abrupte, âpre, dérangeante, trouve sens en la douceur de sa narration et de ses personnages.


"La Sapienza" est un film fragile, délicat, parfois maladroit. Ses tics de langage cinématographique rendent son appréciation possible à celui qui s'armera de patience.

Phenos
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le 14 avr. 2017

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