Berlin, 1948. Un avion en provenance de Londres survole la ville. Ses passagers, sept membres du Congrès américain en visite officielle dans la capitale occupée, découvre la triste vision d’outre-monde qui s’offre à eux. À perte de vue, des ruines. Immeubles éventrés, façades orphelines et décombres éparpillés s’étendent à perte de vue, véritable paysage apocalyptique qui constitue à présent le visage de Berlin. Noyée sous les bombes – 75 000 tonnes d’explosifs – la cité déchue tente, tant bien que mal, de se reconstruire.


Rebâtir. Réparer. Rééduquer. Ce sont d’ailleurs les principales missions des quelques douze mille soldats américains qui occupent l’un des secteurs de la ville. Du moins… en théorie. En pratique, les GI consacrent le plus clair de leur temps à écumer les bars, à trafiquer aux marchés noirs florissants et, surtout, à courir la Fräulein. Les honorables membres du congrès débarqués à Berlin ne se doutent absolument pas des activités réelles de leur armée, à l’exception de la tenace Miss Frost, députée de l’Iowa.


Cette brave dame, qui enquête au cœur du terrain, ne va pas tarder à tomber sur une autre affaire, plus ténébreuse encore. Entraînée par d’entreprenants marines au plus profond d’un bouge crasseux de la ville, elle y rencontre la capiteuse Erika von Schlütow, que l’on dit intimement liée avec un officier haut placé de l’armée américaine. Miss Frost, décidée à faire tomber cette ancienne nazie, s’attache les services d’un capitaine – issu comme elle de l’Iowa – pour mener sa propre investigation.


Autant le dire tout de suite, « A Foreign Affair » n’est pas le film le plus subtil de Billy Wilder.
Le film se résume à une histoire de femmes. À un affrontement, plus exactement, entre deux personnages tout à fait opposés.
D’un côté, Jean Arthur campe Miss Phoebe Frost, qui semble tout droit sortie d’un film de Capra. Paysanne naïve, intègre, romantique, et, avouons-le, un peu crétine, de l’Iowa, elle ne voit pas plus loin que le bout de son nez et se fait allègrement manipuler et séduire par le premier soudard venu. La pauvrette, sorte de caricature ambulante, en prend pour son grade tout au long du film, l’humiliation culminant lors d’une scène de chanson au summum du pathétique.


De l’autre, Marlene Dietrich est Erika von Schlütow (ça ne s’invente pas), une femme sophistiquée et séduisante, sorte de chanteuse irrésistible, mais incorrigible vipère aux dents longues et à la langue acérée. La grande Marlene force un peu trop l’accent, mais la comparaison entre les deux femmes est par trop inégale, et l’affrontement, de bien courte durée. Miss Frost est surclassée en quelques secondes, et prend de plein fouet les piques extraordinaires de sa garce de rivale.


Le personnage de Dietrich est, comme souvent, moins monolithique qu’elle n’y paraît au premier abord, ce qui rehausse considérablement l’intérêt du film. Présentée comme une ancienne gloire, qui vit dans un taudis aux crochets de ses amants, qui la payent à coup de parfum, casseroles et autres matelas, von Schlütow possède une certaine fragilité, et une forte capacité à l’empathie. Si elle semble prendre plaisir un instant à démolir la pauvre Miss Frost, empruntée et maladroite dans ce monde qu’elle ne maîtrise pas, elle se ravise l’instant d’après, faisant preuve d’une pitié charitable envers sa rivale d’autrefois.


Les deux actrices s’en tirent très bien. Jean Arthur me paraît un peu sous-employée : je la préfère nettement chez Capra, où ses personnages sont un peu moins manichéens et plus volontaires. Les acteurs, quant à eux, sont clairement moins intéressants, en particulier le rôle masculin principal, censé être une sorte de bête charismatique en diable…


Il y a toutefois, malgré les défauts du film, quelque chose que je trouve très intéressant ici. Il est précisé, lors du générique d’ouverture, que de nombreuses scènes furent tournées en décors réels, c’est-à-dire à Berlin même. Nous ne sommes qu’en 48, soit trois ans après la fin de la guerre… et ça se voit ! La scène d’ouverture du film, depuis les avions, est à couper le souffle. Un champ de ruines à perte de vue. Plus tard, lorsque le capitaine Pringle (bon sang, ces noms…) va rendre visite à sa maîtresse, l’on a également droit à une visite de ces vieux quartiers aux immeubles démembrés. La ville semble comme morte, inhabitée, et pourtant, les bâtiments ne sont pas vides. C’est, à mon sens, une plongée particulièrement fascinante dans la Berlin du "juste après-guerre", qui permet de mesurer l’ampleur de la destruction causée par les bombardements alliés.


« A Foreign Affair » est un film mineur dans l’œuvre de l’immense Billy Wilder, mais qui possède ses moments, en particulier dans l’écriture des répliques du personnage de Marlene Dietrich. Evidemment, celle-ci porte le film à bout de bras, reléguant tout autre acteur au rang de faire-valoir lorsqu’elle apparaît à l’écran.

Aramis
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le 22 avr. 2016

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