L'inceste, c'est comme la chaîne alimentaire : on s'en fout !

Je n'ai jamais vu un film de survie où le côté survie était aussi mal fait. J'ai oublié que l'on n'avait pas besoin de manger pour survivre. J'avais oublié que l'on n'avait pas besoin de chasser et de tuer les animaux plus faible que nous pour se nourrir lorsqu'on tente de survivre. J'ai oublié que la chaîne alimentaire n'était que le fruit de mon imagination.


Je n'ai jamais vu autant d'ellipses narratives. En soi, l'ellipse narrative peut être un bon procédé si elle est utilisée à bon escient. Mais là, elle n'est parvenue qu'à détruire la narration. Car au lieu de développer les personnages et leur histoire, par un travail minutieux de la part du scénariste, le scénariste a préféré nous balancer des ellipses narratives à tout va, comme si lui-même ne savait pas comment se déroule ce processus que l'on parcourt tous et que l'on appelle la vie. Dans le synopsis, on peut tout de même y lire « […] le film racontera les grandes étapes de la vie d’un être humain. ». Je trouve ça très prétentieux d'avoir utilisé le verbe « raconter » car on a bien plus l'impression de se trouver face au résumé d'un résumé. Parce que ce film, c'est l'histoire d'un homme qui tombe amoureux en une demi-seconde d'une femme (ex-tortue, mais cette information ne nous est d'aucune utilité dans le paragraphe que je suis en train d'écrire), qui, en une demi-seconde tombe enceinte (le « qui » désigne désormais la femme), qui, en une demi-seconde accouche d'un bébé, qui, en une demi-seconde devient un jeune adulte (le « qui » désigne désormais le bébé), qui, en cinq demi secondes meurt de viellesse (le « qui » désigne désormais l'homme). On est sorti de la séance avec un goût d'inachevé, pensant avoir vu un moyen-métrage de 45 minutes (le film dure presque le double, cette information m'a surpris), parce que finalement, on n'a pas vu comment il est tombé amoureux d'elle, comment elle est tombé amoureuse de lui, ou alors si c'est parce que tous deux n'avaient personne d'autre à aimer que l'un l'autre qu'ils sont tombés amoureux. On n'a pas vu quels sont les efforts que papa a dûs faire pendant la grossesse de maman, on n'a pas vu toutes les épreuves qu'a dûes surmonter maman pendant cette même période. On n'a pas vu les choix qu'ils ont dûs faire pour élever bébé. On ne les a pas vus se questionner sur leur avenir. On ne les a même pas vu réfléchir sur les problèmes qu'ils peuvent avoir. Ont-ils par exemple songé au fait que si une seule famille vit sur une île reculée, il devra y avoir de l'inceste si deux conditions sont réunies, l'une est que la famille veuille subsister, l'autre, que personne d'autre ne vienne sur l'île ? Ah oui, mais l'inceste, c'est comme la chaîne alimentaire, on s'en fout. Si l'esprit de chaque personnage est aussi stérile, ce n'est qu'à cause du fait de nous avoir balancé des ellipses narratives en ayant jamais l'envie de travailler les personnages, en ayant jamais l'envie de nous offrir un film pertinent.


Passons maintenant aux côtés artistiques : les graphismes et les OSTs. Graphiquement, les décors sont pas mals sans être exceptionnels. La mer est jolie, mais un peu simpliste. Le sable semble ne former qu'un bloc, et le manque de détails nous fait même oublier qu'il est en réalité constitué d'une multitude de grains de sable. Mais le plus grand échec reste le chara design. Si moche que même la caméra n'ose pas filmer les visages en gros plan, sous peine de trop voir la simplicité du dessin, ou l'inexpressivité des visages. Les OSTs, différentes du reste du film car globalement excellentes, permettent de magnifier l'inconscience onirique du protagoniste lors des scènes de rêves.
Finalement, ce film s'est achevé aussi abruptement que le film a commencé. Qui est donc cette tortue rouge ? Personne ne peut réellement y répondre car aucun personnage, y compris la tortue rouge, n'est développé. Et on ne peut qu'y proposer une surinterprétation. Mais c'est cette surinterprétation qui est pour moi la meilleure chose que ce film nous propose.


Cette tortue rouge, qui est-elle à la fin ? Est-elle immortelle ?? Mais bon sang !! Combien de temps cela fait-il qu'elle a vécu ?? Mais surtout : qu'a-t-elle vécu ?? Elle qui semblait n'être que sauvage aux premiers abords. Mais finalement, n'est-ce pas simplement cette pesante solitude qui l'a rendue ainsi ?? Voulait-elle simplement aimer et être aimée ?? Quitte à tenir prisonnier la personne qu'elle aimait. Pourquoi l'aimait-elle ?? L'aimait-elle parce que c'était précisément cette personne, ou alors cela aurait-il pu être n'importe qui du moment qu'elle la sorte de la solitude ?? L'aimait-elle pour la personne qu'elle était, ou parce qu'elle lui a appris non seulement à aimer, mais aussi à aimer vivre, à être heureuse, à construire des choses qu'on ne peut que faire à deux, comme bâtir la première de toutes les sociétés, qu'on appelle couramment famille ???
Peut-être que c'était par pur égoïsme, que la tortue rouge a décidé d'empêcher le naufragé de s'enfuir, peut-être qu'elle voulait tellement briser sa solitude et se faire aimer, qu'elle a oublié les sentiments du naufragé. Et si pour une fois, elle pouvait être égoïste, et si pour une fois quelqu'un pouvait faire attention à elle, et si pour une fois elle comprenait la signification du mot bonheur ??


Ce film ne peut pas être interprété car trop pauvre, on ne peut que le surinterpréter et se poser des tas de questions, questions qui n'auront aucune réponse, et c'est ceci qui explique ce que j'ai appelé « goût d'inachevé ».

Créée

le 31 juil. 2016

Critique lue 852 fois

11 j'aime

37 commentaires

Мr_Βbb

Écrit par

Critique lue 852 fois

11
37

D'autres avis sur La Tortue rouge

La Tortue rouge
Shania_Wolf
7

Une île de poésie dans un océan de blockbusters

Extrêmement épuré, dans l’histoire, l'image comme le son, La Tortue Rouge promet une expérience apaisante, suspendue au-delà du temps. Un instant de poésie dans ce monde de brutes, mais dont les...

le 28 juin 2016

104 j'aime

3

La Tortue rouge
Feihung
5

C'est très beau mais...

A la sortie de la salle j'étais partagé, très partagé même. Le film dispose d'une direction artistique vraiment de toute beauté, l'animation est réussie, la bande son est vraiment en accord avec le...

le 5 juil. 2016

72 j'aime

6

La Tortue rouge
fyrosand
9

Seul au monde ... Enfin presque .

En coopération avec le Studio Ghibli, Michaël Dudok De Wit nous livre un superbe film d'animation métaphorique et symbolique dans lequel tout est conté avec la musique et le visuel, sans aucun...

le 29 juin 2016

70 j'aime

11

Du même critique

La Tortue rouge
Мr_Βbb
5

L'inceste, c'est comme la chaîne alimentaire : on s'en fout !

Je n'ai jamais vu un film de survie où le côté survie était aussi mal fait. J'ai oublié que l'on n'avait pas besoin de manger pour survivre. J'avais oublié que l'on n'avait pas besoin de chasser et...

le 31 juil. 2016

11 j'aime

37

Your Lie in April
Мr_Βbb
8

I met the girl under fully-bloomed cherry blossoms and my fate has begun to change.

Depuis sa plus jeune enfance, la mère de Kôsei l'initia au piano pour en faire le plus grand des génies. Elle lui inculqua l'apprentissage de cet instrument avec un enseignement atrocement draconien...

le 27 juin 2015

11 j'aime

5

Bakemonogatari
Мr_Βbb
6

« De la philosophie zen, sur un fond de petites culottes. », Antigoomba.

Alors Bakemonogatari, de quoi ça parle ? Ça nous raconte 5 histoires, chacune en rapport avec une « fille ayant perdu une partie de son humanité ». En gros, c'est comme les mutants dans X-Men ? Nai...

le 27 juin 2016

6 j'aime

2