Mars 2010:

Foutre, que voilà un long intermède de terminé! Cela faisait longtemps que je ne m'étais plongé dans le cinéma de Shimizu.

Ce cinéaste, pourtant très intéressant, est peu cité, alors qu'il fait montre d'une belle filmographie qui propose des films d'allure très simple mais qui sont néanmoins bien construits, avec une mise en image très inventive, réfléchie, avec des histoires et des personnages plus complexes qu'ils en ont l'air au premier abord, des films très humanistes, d'un optimisme rarement béât, empreint d'une sorte de mélancolie légère, une filmographie tempérée ai-je envie de dire.

Personnellement, lorsque je l'ai découvert il y a deux ou trois ans, je fus, sinon subjugué, au moins surpris par la majesté mêlée de naturel qui se dégagent de "Anma to onna" (Une femme et ses masseurs), puis dans "Kanzashi" (Ornemental hairpin). Si sur ce "Mikaheri no tou" (Introspection tower) je ne retrouve pas toujours avec autant de force le plaisir et surtout la profondeur scénaristique, je suis cependant à nouveau conquis par le langage formel de Shimizu.

D'entrée de jeu, comme sur "Une femme et ses masseurs", nous entrons dans le récit par un lent travelling. Ici, l'on découvre le directeur d'une maison de correction agricole qui présente son institution à un groupe de visiteurs. Le travelling arrière d'abord dévoile les personnages sur le chemin, aux abords des champs, menant aux bâtisses. Très vite, un travelling latéral, toujours aussi lent et délicat, encadre le groupe d'adultes nous faisant découvrir les activités des enfants dans les ateliers et les champs. Shimizu semble apprécié ce dispositif. Il y revient régulièrement tout le long du film pour accompagner les personnages ou exposer les scènes.

Ce n'est pas une marotte insensée du réalisateur. Shimizu, fasciné par l'enfance, son exubérance, son dynamisme, son perpétuel besoin d'action, est peut-être influencé par ce bouillonnement, invité en quelque sorte à filmer le mouvement. Quand les conditions techniques ne permettent plus d'utiliser le travelling, Shimizu contourne le problème avec beaucoup d'ingéniosité et même une caressante grâce. Premier exemple : des enfants se sont évadés et les autres gamins se passent le mot de champs en champs, pour alerter les adultes. Shimizu associe plusieurs plans fixes et laisse les personnages courir vers la caméra,donnant un souffle rafraichissant à toute la séquence. C'est le même procédé qui officie lorsqu'après les travaux de terrassements dans la montagne, de l'eau coule le long de la tranchée que les enfants ont creusé afin d'alimenter leur institution. Shimizu montre les gamins dévalant la pente à la poursuite du ruisseau naissant avec une joie communicative.

D'autre part, toujours attaché à filmer cette enfance dans ces élans naturels, attendrissants ou violents, sa caméra reste attentive aux moindres expressions des gamins. Ce qui fonctionne plutôt bien avec eux est un peu trop démonstratif à mon goût avec les adultes. Mais peut-être que se cache derrière ce léger sentiment de rejet de ma part, le fait que j'adhère difficilement à ce que veut montrer le film. Il se trouve que j'ai fait quelques recherches sur les maisons d'éducation correctionnelle, du temps jadis où j'estois estudiant en Histoire et que je connais bien le fonctionnement réel de ces "bonnes oeuvres". Or, ici Shimizu, avec sa propension coûtumière à aimer parfois aveuglément son prochain, édulcore avec naïveté la réalité de la "rééducation" ou "correction". Certes, la violence entre les enfants n'est pas omise. Celle commise par les adultes ne l'est pas non plus mais elle reflète mal l'intensité des relations adulte/enfant dans ce genre de lieu où l'aliénation pourrit forcément les rapports humains. Beaucoup d'enfants mourraient dans ces camps. Seuls les grands travaux évoquent ces traitements brutaux mais très vite, à la japonaise -c'est mon oeil occidental et simplificateur évidemment qui me fait voir les choses comme ça- on met bien davantage en avant la grandeur et l'importance de l'oeuvre que la maltraitance qui en découle. Le projet collectif est plus important que l'individu.

Et la fin du film très démonstrative fait penser aux films de propagande, l'outrance du simplisme, où tout le monde est heureux, où tous les problèmes du passé sont arasés ou complètement effacés, les larmes aux yeux et la main sur le coeur. Vive la tour d'introspection! Vive le système qui redresse la mauvaise graine récalcitrante! Le bonheur de force est un concept qui passe mal de mon côté. Gerbant. Dommage.
Alligator
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le 6 avr. 2013

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