La Tour des Monstres – Film d'horreur – 1974 . Ce sont bien les trois seuls informations que j'avais lorsque j'ai commencé à visionner ce film trouvé un peu par hasard dans le fond du catalogue de Ciné +. Et même si je surnote un peu pour marquer le plaisir de la découverte d'un petit bijou au milieu d'un océan de perles de pacotilles, La Tour des Monstres est incontestablement un excellent petit film.


La Tour des Monstres (Homebodies) nous raconte l'histoire d'un quartier résidentielle et populaire américain en cours de mutation. Les anciens logement font place doucement à d’immenses grattes ciels et les habitants sont expulsés de leurs anciennes habitations pour être relogés dans des appartements aux loyers plus chers. Pourtant, une demi douzaine de personnes âgées refusent la fatalité et s'accrochent à leurs vieux appartements. Lorsque la vieille Mattie qui assiste tous les jours assise sur sa chaise pliante au spectacle de la construction d'un immense building constate que le chantier s'arrête à la suite d'un mortel accident de travail, il lui vient une idée assez radicale afin de gagner du temps et stopper les travaux. Avec l'aide de ces vieux résistants commence alors une série de sabotage et de meurtres afin de conserver leur vieil immeuble debout le plus longtemps possible.


La Tour des Monstres n'est pas à proprement parler un film d'horreur même si il possède parfois un climat assez anxiogène, en revanche c'est clairement une très bonne comédie noire qui se paye le luxe d'être également émouvante et surtout intelligente. Car le film de Larry Yust va prendre le temps de nous présenter des vieux messieurs et des vieilles dames assez attachants dans leurs détresses mais surtout nous montrer combien un lieu d'habitation représente aussi une partie de nos existences et donc de nos mémoires. Alors qu'ils ne représentent qu'une donnée anonyme dans une opération comptable et immobilière et un grain de sable dans la mécanique du modernisme, le film redonne une humanité, des visages, une présence et surtout une histoire à ses personnages que l'on voudrait effacer de l'équation. Ainsi lorsque une employée de mairie viendra signifier à ses habitants qu'ils doivent partir nous découvrirons un vieil aveugle qui aura mis des années à apprivoiser la topographie de son appartement, de son immeuble et de son quartier et qui devrait d'un coup repartir à zéro ou à un vieil homme qui entasse dans son appartement des centaines de documents et des piles entières de recherches afin d'écrire un livre sur sa vie et son épouse décédée et qui apprend que tout doit être mis en carton et qu'il devra recommencer un tri qui lui a déjà pris quinze années de sa vie. Avec beaucoup de justesse et d'émotion La Tour des Monstres dénonce ainsi des décisions administratives et financières qui n'ont que peu à faire des histoires et des vies qu'elles viennent chambouler à jamais. Le film baigne ainsi dans une sorte de mélancolie autour de notions tels que la mémoire, la vieillesse et la fin des choses avec quelques très jolies scènes comme lorsque profitant du silence revenu après la fin des travaux le vieil aveugle joue du violon seul dans son appartement.


Quant à la résistance des vieux de la vieille elle prend les allures d'une comédie grinçante et noire dans laquelle on va prendre un évident plaisir à regarder d'innocents vieillards devenir d’implacables meurtriers au rythme claudiquant de leurs démarches mal assurées. Léger sourire en coin ou visage impassible les anciens semblent appliquer une mécanique de survie et d'auto défense qui finira pourtant par brouiller l'unité du groupe face à la question morale de la mort d'innocents. Le film regorge ainsi de moments vraiment très drôle comme lorsque l'une des vieilles dames doit cacher la voiture d'une innocente victime alors qu'elle n'a pas conduit depuis trente ans ou que dans une odyssée morbide quelques vieux et vieilles traversent la ville en transportant un cadavre dans un fauteuil roulant afin de s'en débarrasser plus loin. Reprenant un peu le principe de l'enfant innocent, les personnages de La Tour des Monstres qui semblent fragiles et a qui l'on donnerait le bon dieu sans confession vont s'avérer au fil du récit de plus en plus tordus et méchants. La tour des Monstres est donc assez jubilatoire à suivre grâce notamment à son casting impeccable qui ne comporte que très peu de visages connus mais de solides interprètes à commencer par Paula Trueman géniale dans le rôle de Mattie qui avec son perpétuelle petit sourire en coin est un peu la chef de la meute et l'instigatrice de la plupart des meurtres . On retrouve également Peter Brocco, Frances Fuller qui jouera ici son tout dernier rôle, William Hansen, Ruth McDevitt (Les Oiseaux), Ian Wolf, Linda Marsh et Douglas Fowley , un casting solide de seconds rôles du cinéma américain même si très honnêtement j'ai du recourir à IMDB pour connaître leurs noms.


Et puis un dernier point non négligeable c'est que sans être un pur film d'horreur, La Tour des Monstres n'en demeure pas moins un film parfois assez angoissant. Larry Yust soigne sa mise en scène et ses cadres pour nous offrir un film au climat étrangement anxiogène transformant petit à petit ses personnages en une menace quasiment surnaturelle comme lorsqu'ils apparaissent aux fenêtres de leur vieil immeuble tel des fantômes faisant fuir les gosses dans la rue. Les longs couloirs sombres, les appartements vides, les visages froids et déterminés de ses vieillards, leur coalition criminelle secrète, Larry Yust tire vraiment le meilleur et le plus angoissant de ce dont il dispose à l'écran tout en s'appuyant sur une très bonne bande originale signée Bernardo Segall. Les gentils vieillards deviennent de véritables tueurs, leur immeuble devient une bâtisse hantée et leurs motivations deviennent de plus en plus sombres au point de se bouffer entre eux lors d'un épilogue d'une cruelle ironie.


La Tour de Monstres est donc une très bonne surprise et un de ses petits films totalement oublié mais qui mériterait vraiment d'être réhabiliter. A la fois drôle, sombre, mélancolique , angoissant et intelligent Larry Yust réussit une petite merveille qui certes accuse visuellement le poids du temps mais demeure d'une bien triste actualité vis à vis du sort peu enviable des personnes âgées que l'on place à droite et à gauche comme si elles n'avaient ni visages et ni mémoires.

freddyK
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le 29 mars 2022

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Freddy K

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