Le film qui se perd en route, c'est aussi de la faute à la poire ?

Il y a de quoi pleurer, parfois, sur le sort de la comédie française aujourd'hui. Pourtant, La Vache redonne la foi... Le temps de sa première moitié seulement. Le temps d'une déambulation poétique sur les routes de la France profonde, naïve, simple, qui n'a pas besoin des habituels effets pachydermiques pour faire rire à peu de frais. Un véritable bol d'air pur, comme une balade dans la belle campagne. C'est attendrissant et frais, sans autre arrière pensée que celle de livrer quelque chose de vrai.


La Vache se fonde ainsi sur un choc des cultures, un déracinement progressif de son personnage principal à la poursuite de son rêve un peu fou, juste ce qu'il faut pour émouvoir un petit peu et faire que l'attention ne flanche pas. Fatah est assez vite attachant, avec son visage lunaire et sa propension à toujours être plus objet que sujet de l'action et des situations cocasses. Sa gouaille fait sourire, tout comme ses petites misères du bled racontées en parallèle, avec sa femme, ses enfants et leur entourage. Avec sa seconde épouse, Jacqueline, il forme un joli couple qui avale les kilomètres dans un intimisme radieux qui promet un petit film en forme de comédie autre et nonchalante, jamais méchante, toujours juste.


Les jolies rencontres que fait Fatah au cours de son voyage vers Paris et le salon de l'agriculture sont autant d'occasions de souligner le choc des cultures et de parler de la ruralité ou encore de la paysannerie qui se meurt de manière silencieuse. Le trait n'est ici jamais forcé, au contraire. La Vache emporte doucement son public, sans jamais montrer ses efforts ni ses effets. Jusqu'à penser, pendant quarante cinq minutes, que l'on sortira à coup sûr de la séance avec un petit sourire dessiné sur le visage, persuadé que l'on tient, enfin, une comédie française digne d'intérêt.


Il faut croire que les scénaristes ont pris peur quand ils ont réalisé la véritable qualité du matériau qu'ils avaient entre les mains, qui était loin de correspondre aux canons de la comédie française moderne et bas de plafond. Ils s'échinent en effet dans la seconde partie de La Vache, dans un rétro-pédalage meurtrier, à détruire les bonnes idées et la simplicité qu'ils avaient déployées jusqu'ici.


Ils ont eu peur de la simplicité poétique parfois touchante de leur propos, car ils ramènent le film de manière lourde et violente sur le plancher des vaches en faisant s'emparer les médias du phénomène Fatah et en faisant entrer Jamel Debbouze dans le champ de la caméra. Dès lors, la vache passe totalement inaperçue, tandis que le personnage de Fatah se fige soudain en vue de servir la soupe au comique bien connu. Hystérisation du film, du découpage, de l'action, le film semble ainsi souffrir d'une énorme crise d'épilepsie, comme s'il fallait nécessairement paraître familier à la jeune génération accrochée aux réseaux sociaux et au buzz éphémère.


C'est aussi le moyen pour le service public, qui a mis des ronds dans le film, de se mettre en exergue et d'assurer à son audience chic qu'elle traite aussi parfois de sujets d'AOC France profonde, alors qu'il ne cesse de vomir sur le traitement de l'information made in TF1. On n'est finalement jamais aussi bien servi que par soi-même, après tout.


C'est enfin un gimmick comique repris jusqu'à la nausée, sans aucune nuance, comme, par le plus pur des hasards, dans toutes ces comédies pasteurisées dont on nous abreuve, formatées, rase-mottes, bêtes et interchangeables. Celles où la critique est simpliste, quand les administrations sont dépeintes comme incapables et feignasses, et les flics systématiquement cons et racistes.


Dès lors, La Vache sombre rapidement dans une hystérisation aberrante et le film souffre d'un sacré rétrécissement de la chaussée qu'il empruntait jusque là : celle d'une aventure aussi douce qu'un peu folle entamée par un rêveur un brin lunaire qui se perd en route au gré de ses jolies rencontres propices à l'échange et à une belle évocation trans-méditerranéenne de la culture rurale.


Mais les scénaristes ne s'offusqueront pas de telles critiques, ni d'un tel gâchis, car de toutes façons, ils vous diront sans doute, dans un sourire hypocrite et en se croyant malins, que "c'est de la faute à la poire".


C'est pas bien de se cacher derrière son petit doigt...


Behind_the_Mask, qui s'étrangle en buvant son verre de lait.

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le 27 mars 2016

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Behind_the_Mask

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