Rupert Pupkin, le plus beau personnage de Scorsese ?

Un homme, l'air grave, se fraye un chemin dans la foule new-yorkaise qui s'amasse pour se rapprocher du célèbre comique Jerry Langford (Jerry Lewis).
Il semble complètement étranger à l'hystérie collective et ne pas être intéressé par l'obtention d'un simple autographe.

Non, il a déjà dépassé ce stade-là, il ne veut plus d'autographe, il vise les sommets, la grande gloire, lui l'anonyme, il veut devenir "The King of Comedy", et s'il semble si concentré et déterminé, s'il prend cet air solennel lui le fantasque, le plaisantin, le romantique aussi, c'est parce qu'il sait que l'instant est important pour son avenir, pour ses espoirs de gloire, s'il joue bien le coup qu'il a préparé, il réussira à approcher son idole, et peut-être parviendra-t-il grâce à son aide, si ce dernier croit en son potentiel, à percer dans le monde du show-business, et à intégrer son émission comme comique de stand-up. Voilà son rêve!

Mais à forcer de trop rêver, le personnage de Rupert Pupkin (magistral Robert de Niro) risque de se perdre complètement dans ses illusions et ne plus savoir les distinguer avec la réalité.
Le génie du personnage est là, un rêveur qui a passé sa vie à dormir, et qui se réveille du jour au lendemain.

A 34 ans il n'a plus de temps à perdre, et est prêt à griller toutes les étapes pour pouvoir devenir ce grand comique, conquérir la femme qu'il aime (qu'il a connue adolescent mais à qui il n'avait jamais rien avoué de ses sentiments), et tirer deux milliards de plans sur la comète.
Le personnage est savoureux, sans cesse à se faire des films sur tout, persuadé d'être le plus proche ami de Jerry, alors qu'il ne l'a croisé que 5 minutes et que ce dernier souhaitait qu'il se barre au plus vite pour qu'il cesse de le coller.

"The king of comedy" ou "La valse des pantins" raconte cette histoire, celle de Rupert Pupkin, un personnage incroyablement attachant, drôle, hyper naïf, mégalomane et paranoïaque, qui va s'accrocher à n'importe quelle branche pour atteindre ses rêves, quitte à kidnapper son mentor avec un flingue, en compagnie d'une nymphomane complètement timbrée (Sandra Bernhard tout simplement effrayante) pour organiser un vaste chantage délirant afin de passer en force dans l'émission, même si ça lui coûte d'aller en prison.

Mais surtout, là où le film est génial c'est qu'il alterne tellement entre scènes réelles et scènes rêvées/fantasmées, que la frontière entre les deux devient de plus en plus floue.

On y voit entre autres scènes géniales, Pupkin attendre patiemment dans un vaste building d'une société de production télé, la venue d'un Jerry qui ne viendra jamais le revoir (alors qu'il l'avait promis), s'y faire expulser comme un vaurien, rêver qu'on lui célèbre un mariage fictif sur le plateau de l'émission (le pasteur qui le marie dans son rêve, déclare même lui demander son pardon au nom de tous ceux qui n'ont jamais cru en lui depuis son enfance), le voir répéter son sketch devant une photo géante d'un public qui rit aux éclats avec un bruitage de rires de plus en plus fort (alors que son sketch est consternant), on le voit répéter seul chez-lui, parler avec des maquettes de célébrités, et entendre au loin la voix de sa mère l'engueuler et lui demander à qui il s'adresse...

Le personnage n'est cependant jamais pathétique, jamais angoissant, non car De Niro est absolument lumineux, il respire la joie de vivre, il est cartoonesque à souhait et pas déprimant (alors que le personnage a quand même tout du gros loser totalement raté) et surtout il est hilarant.

A l'opposé, Jerry Lewis joue le rôle d'un vrai sale type (sans pour autant sombrer dans le manichéisme, ni dans le cliché de la célébrité hautaine qui se fout de ses semblables), et je constate une fois de plus qu'au final, les très grands acteurs comiques sont probablement les meilleurs acteurs tout court, ou du moins les plus complets.

Deux autres exemples m'avaient marqué jusqu'alors, Adam Sandler qui ne tourne que dans des navets et qui soudain te sort une prestation sidérante dans le grandiose "Punch Drunk Love" de P.T. Anderson, et puis évidemment l'incontournable Jim Carrey qui dans les rôles dramatiques est encore presque plus génial que dans ses rôles délirants. Evidemment on repense à "Truman show", et "Man on the moon", voire "Eternal sunshine of the spotless mind".

Et là Jerry Lewis ne déroge pas à la règle, et pourtant il est tout le temps en retenu, il se contient en permanence, toujours à deux doigts d'imploser sous le stress, l'environnement oppressant, il se contient, même ligôté et en prise avec une nymphomane psychopathe qui lui raconte des trucs flippants, il tient le cap.

Mais il a une telle aura, un tel génie, que même sans parler, il exprime tout, et le génie comique est là, ces acteurs peuvent exprimer tout le panel des émotions, sans dire un seul mot.

Pour conclure, "La Valse des pantins" est une vraie pure comédie, rafraichissante qui traite certes de thèmes qui en soi sont assez noirs, mais avec une telle légèreté, un tel délire, bref un vrai grand beau film avec un personnage principal tout aussi complexe et marquant que le héros de Taxi Driver, Travis Bickles.

Il est sorti juste avant "After Hours" et on ressent un peu le même esprit, et la même folie, pas de voix-off envahissante comme dans ses films de mafieux, pas de flash back à gogo, pas de récit apesanti et figé, on vit l'intrigue au rythme du personnage principal, on le suit directement, et c'est peut-être ce qui m'immerge le plus dans les films de ce type-là.
KingRabbit
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le 10 mars 2013

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