Et le Tout-Puissant le frappa et le livra aux mains d'une femme...

C’est un excellent film, dans le haut du panier des Polanski pour moi. On s’attend a voir un film sur le théâtre, les artifices, sur l’erotisme, sur la littérature, et on a tout ça. Mais en plus on a des relents de fantastique, de grotesque fabuleux.

Le scénario nous présente Vanda, une espèce de roulure maquillée comme un camion, vulgaire et écervelée, qui arrive (très) en retard à une audition pour une pièce basée sur la Vénus à la fourrure, mise en scène (non, adaptée!) par Thomas, acteur confirmé et metteur en scène débutant qui voudrait bien rentrer chez lui après une série d’auditions catastrophiques. De toute évidence, Vanda n’est pas faite pour le rôle, elle a a peine préparé la pièce, elle n’a aucune idée de qui est Sacher Masoch. Elle a tout pour se planter dans les grandes largeurs. Et de toute façon l’audition est finie. Mais elle convainc Thomas de lui faire louer les Trois premières pages.

Et contre toute attente, elle joue le personnage suffisamment bien pour troubler Thomas. À partir de là, on assiste a un bouleversement des rapports de force entre Vanda et Thomas. Ils jouent et réécrivent la pièce, en sortant et en rentrant dans le jeu imperceptiblement. Thomas, lui aussi se met a jouer Séverin comme il respire, la pièce devient le sous texte de l’action, ou bien l’inverse on ne sait plus vraiment. Il lui donne des indications de jeu avant autant qu’il en reçoit, accepte ses ordres jusqu’à l’humiliation.

En outre , on navigue quand même dans l’étrange, voire le fantastique. Tout n’est pas forcément ce qu’on imagine. Vanda joue la dinde bien plus dinde qu’elle ne l’est vraiment. Elle joue presque faux la vulgarité et la candeur. Elle est aussi une excellente technicienne de plateau d’ailleurs. Et elle connaît par cœur un texte qu’elle a soi-disant découvert le jour même. Elle possède un sac comme sans fond qui tel celui de Mary Poppins , convoque sur scène des tas d’accessoires et de costumes, toujours justes et à propos. Elle arrive dans le théâtre avec un plan séquence en travelling subjectif (dans une décor complètement artificiel et numérique, avec un orage bien menaçant et des arbres qui s’agitent comme dans la forêt de Blanche-Neige) qui rappelle quand même sacrément des choses qu’on a vues dans la neuvième porte. Qui est Vanda? Elle est peut être une créature fantastique, une envoyée des enfers? Un ange exterminateur venu donner une leçon à un metteur en scène un peu prétentieux et gentiment misogyne?

On ne saura jamais , parce que Polanski joue a mort avec les différents degrés de jeu, on passe du texte de la pièce a une conversation sans prévenir, et on en sort tout aussi facilement. On restera jusqu’a la fin dans une incertitude assez jouissive, on ne sait pas/plus ce qu’on regarde exactement, c’est troublant et excitant. On reste dans un entre deux incertain assez jouissif. Les personnages quand a eux jouent 2, 3 choses à la fois et souvent simultanément, et rendent ça cohérent. On voit l’actrice, le personnage de vanda, venus vengeresse et peut être encore autre chose dans Emmanuelle Seigner, On voit le metteur en scène, Séverin, Polanski lui même (Amalric est quand même grosso modo déguisé en Polanski). On passe d’une farce vaudevillesque au début à des choses plus troubles et érotiques, et ça finit dans une scène grotesque complètement jouissive, faisant le grand écart entre Seigner, qui joue la Vénus justicière en lâchant tout, et Amalric, saucissonné à un cactus (belge) , travelotté comme pas possible, misérable et chouinant.

Emmanuelle Seigner a quand même trouvé son plus grand rôle je crois. Elle ose tout, elle en fait trop aussi, mais elle a rarement été utilisée aussi bien. Ce qu’on trouvait faux et outré au début dans son jeu au début du film devient fabuleux et assez troublant à la fin. On sent l’amour que lui porte son mari pour elle. Il a fait ce film pour elle et ça se sent. Amalric est égal à lui même, et donc assez génial.
Benjicoq
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le 18 nov. 2013

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Benjicoq

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