Méconnu, ce thriller évoque de manière évidente L’Inconnu du Nord-Express avec son concept d’échange de bons procédés meurtriers. Mais ce titre n’est pas qu’une relecture bis du récit de Patricia Highsmith. C’est plutôt une variation autrement plus complexe qui s’inscrit davantage dans le cinéma d’Aldo Lado (initiateur, scénariste et assistant lors du tournage du film) que dans celui de Maurizio Lucidi dont la filmographie, plutôt consacrée au western, reste pour le moins modeste. Or on est ici assez loin d’une simple production de série. Le récit, d’abord, est retors à souhait et ouvre des pistes de lecture à la fois existentielle et politique. Le rapport entre les deux personnages principaux oscille entre désir homosexuel et propos politique. Un dominant, un dominé ; celui qui occupe depuis toujours un rang social élevé, celui qui a gravi les échelons et qui veut rester tout en haut ; celui qui agit, celui qui s’interroge. Voilà un lien étrange qui se noue entre deux personnages qui représentent autre chose que deux simples individus. La température monte, en outre, d’un cran quand ils sont interprétés par deux acteurs qui ont tourné avec les plus grands, à savoir Tomas Milian et Pierre Clémenti. Et le moins qu’on puisse constater est que leur prestation n’a rien de celle qu’on propose dans un film de série.
Tomas Milian, qu’on connait bien évidemment exubérant à souhait dans bons nombres de polars ou de westerns, est ici d’une sobriété à toute épreuve. Une sobriété qui lui va comme un gant et qui rappelle quel acteur raffiné il savait être dans des rôles plus complexes. L’acteur cubain ici ne cabotine pas. Il marmonne, baisse les yeux et ne fanfaronne jamais. Il est pris dans un piège qui le dépasse comme ce personnage qui est dépassé par sa propre situation : simple dessinateur, le voilà devenu un riche publicitaire qui ne parvient pas à se défaire d’une épouse qui est copropriétaire de son entreprise. Amoureux d’une maîtresse avec qui il souhaiterait faire sa vie, il ne sait pas comment reprendre sa liberté tout en conservant ses acquis financiers et sociaux. Probable fable sur le capitalisme, le film raconte intelligemment comment un homme qui ne se résout pas à perdre ses privilèges court à sa perte. Le final symbolique tend à donner du crédit à ce message qui, de fait, éloigne ce titre du giallo auquel on tend à le rattacher un peu trop facilement.
Ni violent, ni érotisant, ce film à part dans la production italienne des années 1970 est une proposition franchement originale et particulièrement réussie, à mi-chemin entre le film d'exploitation et le film d'auteur. Mené par une équipe technique particulièrement rigoureuse, il offre une atmosphère à la fois vaporeuse et mélancolique de Venise, et une vision décadente de la société italienne dans son ensemble. Porté par une musique particulièrement efficace signée Luis Bacalov et du groupe de rock progressif The New Trolls, l’ensemble jouit d’une tonalité soignée et d’un véritable parti-pris esthétique. Avec son récit percutant bien mené et son approche symbolique mystérieuse, il mérite de sortir de la confidentialité dont Frenezy a tenté de le sortir avec sa très belle édition.