N'ayant pas vu le film original de Giovanni, je me suis lancé dans La Voie de l'ennemi avec une certaine confiance. Parce qu'il faut bien le dire, ça aurait pu être un grand film. Toutes les conditions étaient réunies pour : l'émouvant Forest Whitaker en ex-détenu voulant reconstruire sa vie, le génial Harvey Keitel en vieux flic réac' et plein de rancœur, Rachid Bouchareb et son sens de la photographie à la réalisation, et le sujet riche et difficile qu'est la réinsertion. Sujet qui est peut-être encore plus d'actualité aujourd'hui qu'à l'époque du film original, à l'heure de l'informatique et d'internet où le passé peut resurgir à chaque instant aux yeux de tous. Enfin bref, La Voie de l'ennemi avait de quoi allécher.


Déception.


Quand je disais que le sujet de la réinsertion est un sujet difficile, c'est parce que je pense que c'est un sujet où l'on peut vite tomber dans la facilité. Parce qu'avec un tel sujet, on voit déjà la fin arriver, avec un constat déprimant sur l'impossibilité de la réinsertion dans la société actuelle, après une longue descente aux enfers qui renvoie le personnage à la case départ. C'est un sujet aux conclusions assez prévisibles puisque cela renvoie à la réalité actuelle de notre monde. Il est donc difficile, et délicat, de traiter la réinsertion. Il faut savoir poser les bonnes questions, prendre le temps d'évoquer plusieurs thèmes différents, et se montrer assez ouvert pour livrer une vue d'ensemble sur la société, permettant de mieux comprendre le problème. Il y avait pourtant moyen de creuser le sujet sur presque deux heures de film, mais Bouchareb est tombé dans le piège.


Le film évoque pourtant certains thèmes intéressants : la difficulté de la recherche d'emploi avec un casier judiciaire qui ne mène qu'à des petits boulots de merde, les vieilles connaissances du passé qui ne lâchent pas l'affaire, la bêtise des flics haineux et rancuniers, le sentiment d'incompréhension et de rage face à toutes ces injustices... Et Bouchareb a au moins le mérite de ne jamais montrer le meurtre qu'a commis le personnage principal, le considérant comme un criminel parmi d'autres et ne cherchant pas l'excuser. C'est une des qualités du film, d'aborder son sujet de manière objective.


Mais voilà, le film a beau être le plus objectif possible, il ne fait que survoler son sujet, et jamais ne le creuse. À vrai dire, c'est même plutôt sage pour un film qui traite de la réinsertion. Au bout de trente minutes, le mec a trouvé un boulot et ce dès sa première demande d'emploi (un boulot de merde, mais un boulot quand même avec un patron qui ne pose aucun problème), a trouvé une femme qui l'accepte comme il est et tire un trait sur son passé. À cause de soucis d'écriture, Bouchareb passe carrément à côté de son sujet par moment : la seule difficulté que rencontrera l'ex-détenu face au monde du travail sera volontairement causée par un autre personnage pour une raison totalement personnelle. Pourtant, le patron de Whitaker était au courant de son casier judiciaire mais n'avait, je cite, "aucune raison de se plaindre". C'est là tout le problème du film de Bouchareb, qui se concentre trop sur l'histoire personnelle entre les personnages de Whitaker et Keitel, et en oublie de donner une analyse, une vue d'ensemble de la société actuelle pour mieux comprendre le problème en lui-même. Car le film parle bien de réinsertion sociale, mais Bouchareb ne parle pas de social, il ne montre pas le problème de la réinsertion dans toutes ses nuances et il oublie de montrer pourquoi la population citoyenne complique la réinsertion des anciens détenus. Il oublie de montrer tous ces gens qui, par peur ou par haine, refusent une seconde chance à autrui. Les préjugés, la difficulté des rapports sociaux, la paranoïa, la peur de l'autre, le sentiment d'insécurité, l'intolérance et le racisme, tout ça passe à la trappe. Ainsi, la seule altercation du film entre l'ex-détenu et un habitant du coin sera provoquée par le volume trop fort d'une télévision. Ce qui peut arriver entre n'importe quels voisins quoi, aux casiers judiciaires vierges ou non.


Bon ça passe encore moins parce qu'un black qui tue un flic au pays de l'Oncle Sam, ça se passe rarement bien, y'a qu'à allumer sa télé de temps en temps pour voir à quel point c'est le bordel là-bas niveau injustices et discriminations raciales. Alors peut-être que Bouchareb est un ermite, je ne sais pas, mais en tout cas c'est totalement absent de son film. Pas de regards pesants ni de réflexions racistes gratuites en pleine rue, le personnage de Whitaker n'est finalement pas trop emmerdé. Même le flic réac' reste très droit dans ses bottes, alors que c'est la parfaite caricature du shériff redneck raciste qui bave sur les valeurs de son pays, la main sur le coeur. Le genre de ceux qui ont flingué des jeunes blacks sans armes dans le dos ces derniers mois. Un parfait connard quoi.


Le film se montre d'ailleurs assez faible d'un point de vue narratif. Jamais le film ne décolle réellement, les scènes s'enchaînent avec cohérence mais rien n'en ressort. Quand, dans la dernière demi-heure, le film pourrait monter en puissance grâce à des rebondissements plutôt bien amenés, Bouchareb se rate encore. Premièrement, le mec filme la violence de loin, comme un simple élément dans le paysage. Alors c'est ni poétique, ni marquant. Résultat, aucune tension ne se fait ressentir et ça prive le spectateur de toute immersion, en tout cas pour ma part. Et deuxièmement, une facilité scénaristique invraisemblable brise toute intensité dramatique :


Sans rigoler, pendant tout le film le sheriff est, je cite, "prêt à tout pour le faire payer". "Lui", c'est Whitaker, l'ex-détenu. Et quand à la fin, les flics l'ont enfin embarqué et qu'ils peuvent le renvoyer en prison, le sheriff demande à ce qu'on le libère. Schizophrène le mec, sachant qu'il n'a pas évolué de tout le film.


C'est dommage. C'est dommage parce qu'il y avait quand même un sacré potentiel, mais Bouchareb n'a fait que l'effleurer. Le résultat n'est pas complètement mauvais, juste bâclé et inabouti, et donc terriblement frustrant. La véritable réussite du film reste le personnage de l'étonnante Brenda Blethyn, agent de probation désespérée qui consacre sa vie à essayer de réinsérer des ex-détenus dans une société qui ne veut plus d'eux.


Allez, tchuss !

Swenser
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le 29 mai 2015

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