"In the grim comedy of life, it has been wisely said that the last laugh is the best..."

Le cirque comme reflet des drames et des injustices de la vie commune, c'est un sujet de cinéma qu'on connaît bien aujourd'hui si on s'intéresse un tout petit peu à la période du muet mais à l'époque de Larmes de clown (1924), sans doute beaucoup moins : c'est que Tod Browning n'avait pas encore réalisé son bouleversant Freaks, qui sortira 8 ans plus tard, dans un registre proche mais malgré tout différent — en résumé, une dramaturgie moins chargée et un baroque bizarre plus prononcé. Pour mettre en scène les profonds malheurs d'un homme de science dépossédé de ses recherches iconoclastes par sa femme et son meilleur ami, le réalisateur suédois Victor Sjöström use ici (au sein d'une production états-unienne) des talents assez incroyables de Lon Chaney pour le rôle principal, incarnant à merveille l'homme trahi par ses proches, l'homme ridiculisé devant l’académie des sciences, l'homme bafoué par une gifle, et in fine l'homme ayant trouvé sa survie dans une reconversion spectaculaire : il devint clown. On pourrait aussi citer un autre suédois puisque Bergman utilisera le même cadre pour La Nuit des forains bien plus tard, en 1953.


Il n'y a vraiment que le cinéma muet pour supporter le poids d'une telle tragédie et d'un tel mélodrame sans plier sous les émotions aussi fortement figurées — pour peu qu'on soit un minimum familier avec le registre, évidemment. Probablement que l'appréciation du jeu de comédien de Chaney aidera grandement : à titre personnel, j'aime toujours autant ses personnages, partagés entre des élans humanistes ou sensibles déchirants et des accès de furie franchement insoupçonnés. Le concentré d'amertume que son personnage Paul Beaumont accumule au fil de l'intrigue atteint un paroxysme fou, balayé par les bassesses de ses proches, et rejoué chaque soir sous le chapiteau d'un cirque dans lequel il incarne un clown recevant une quantité incalculable de baffes de la part de ses confrères et devant une foule hilare, reflet des grands scientifiques qui avaient tant ri de lui dans sa vie passée (la métaphore est appuyée par des surimpressions récurrentes). Fatalement, lorsque le même schéma d'humiliation se profile à l'horizon concernant une écuyère de la troupe, manigancé d'une part par son père et d'autre part par le baron / ancien ami-traître du héros, son sang ne fit qu'un tour, son champ de vision peint en rouge sang.


"Rira bien qui rira le dernier" serait la moralité (ou plutôt l'amoralité) du film, puisque le scientifique devenu clown abattra sa vengeance glacée sur les deux hommes aux intentions peu charitables de la plus sauvage des manières. Après avoir passé des années à se faire gifler par des dizaines de clowns rieurs, rejouant inlassablement la tragédie de sa propre vie, le protagoniste masochiste se tournera vers la cruauté pure — une des dernières scènes fait intervenir un lion affamé et les deux antagonistes, sans spoiler on peut dire que ça ne se finit pas du tout bien pour ces derniers et que le félin se voit offrir un repas très copieux. Il ne faut pas nourrir d'allergie concernant les grandes poussées de mélodrame, mais dans ce cas, Sjöström capte d'une manière très singulière cette ambivalence des émotions chez le clown. Derrière le masque de l'être déchu, la fureur guette et attend sagement son tour.


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Morrinson

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